Mardi 14 septembre
Nb 21, 4b-9 ou Ph 2, 6-11; Ps : 77, 3-4a.c, 34-35, 36-37, 38ab.39; Jn 3, 13-17
Très tôt l’Eglise a proposé à la vénération des fidèles la croix sur laquelle Jésus a été crucifié car elle a été dès l’origine associée autant au martyre qu’à la résurrection, au mal qu’au pardon. La Croix nous ouvre un chemin, le chemin du salut. Demeurent pour nous deux interrogations : la première se situe du côté des hommes et de leur rapport au mal. La deuxième se situe plus du côté de Dieu : qui est ce Dieu qui tolère de voir son Fils, son unique, périr de manière aussi effroyable ?
La question du mal
Que nous reste-t-il des grandes tragédies de l’histoire, de celles du XXe siècle par exemple ? Notre mémoire semble capable de tout relativiser, de tout expliquer. Notre conscience semble aussi capable de s’accommoder de toutes les dérives non pas que nous soyons particulièrement pervers ou méchants, mais parce que cette question est si vaste, si compromettante, que nous ne savons pas vraiment comment nous en emparer et surtout comment la résoudre.
Les philosophes y travaillent comme les théologiens mais aussi les sociologues ou les économistes – et tous échouent. Le mal nous est donné comme un fait. Il est là, dans la vie niée, dans le meurtre, dans la pauvreté, dans la guerre, mais aussi plus simplement dans tous les malentendus de la vie ordinaire, dans les incompréhensions, dans les trahisons, dans les lâchetés, dans notre silence et dans nos paroles, dans nos actes et nos omissions. Alors que dire, que faire ?
Désespérer avec ce monde ? Justement la spécificité de notre foi est que Dieu n’a pas polémiqué. Dieu n’a pas cherché à donner des explications. Dieu n’a pas voulu être le grand thaumaturge que les hommes espéraient. Dieu n’a pas voulu démontrer aux hommes qu’ils ont tort, qu’ils se trompent. Dieu est entré par Jésus- Christ dans l’histoire de ce monde qu’il avait voulu parfait. Dieu ne répond pas à la question du mal, il s’incarne et s’incarnant il assume le risque d’être confronté frontalement à la question du mal.
Le sacrifice du Christ
Jésus, pas plus que Dieu le père ne désirent la mort. Toute la nuit de Gethsémani est là pour nous le montrer. Mais Jésus, le juste, l’innocent, va nous montrer jusqu’où va précisément à la fois notre capacité à nous accommoder du mal et la capacité de Dieu à aimer. « Pardonnes leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » voilà le dernier mot de Dieu sur le mal. Nous ne savons pas ce que nous faisons et même quand parfois nous le savons, nous ne mesurons pas l’étendue des conséquences de nos actes.
Jésus a bien vu ce qui allait le conduire à la mort. Il a vu les manœuvres des grands prêtres, des pharisiens, il a vu la faiblesse de ses disciples et la lâcheté de Pilate, il a vu le mal qui se met en marche comme une machine infernale que rien ne pourra arrêter. D’un côté la logique de Dieu qui est une logique d’humilité, de fraternité, de pardon, de l’autre la logique des hommes, la recherche de la puissance, du pouvoir.
La Croix est glorieuse non pas en elle-même, elle est bien l’instrument d’un supplice horrible, mais parce que Dieu nous délivre de tous les esclavages pour nous faire traverser la mer en furie, passer de « l’autre côté » c’est-à-dire du côté de la vie, de la fécondité, du pardon. La croix n’est glorieuse que dans la lumière du matin de Pâques, dans les larmes de Pierre qui enfin entre dans le mystère de Dieu, sous la semelle des disciples d’Emmaüs envoyés proclamer au monde l’unique Bonne Nouvelle comme nous le sommes aujourd’hui : Christ est vivant ! La croix est glorieuse parce que, en Jésus, elle est devenue le signe du don de soi, de l’amour parfait.