Chaque dimanche, le Père Anh Nhue Nguyen, secrétaire général à Rome de l’Union Pontificale Missionnaire, livre à notre réflexion son commentaire missionnaire biblique.
17 mars 2024, 5e dimanche de Carême, année B
Jr 31, 31-34; Ps 50; He 5, 7-9; Jn 12, 20-33
Amener les personnes à Jésus, l’élevé qui les attire tous à Lui
En ce cinquième dimanche de Carême, nous entrons dans la phase finale de l’itinéraire du Carême. C’est en fait le dernier dimanche « ordinaire » du Carême, car le prochain sera déjà celui des Rameaux et du début de la Semaine Sainte, qui culmine avec le Triduum pascal. Dès lors, se profile déjà à l’horizon Pâques qui signifie étymologiquement le passage, celui du Christ de la mort à la vie, du monde au Père, avec le triomphe sur la mort et les péchés. Dans un tel contexte liturgique et temporel, après avoir contemplé la semaine dernière le sublime mystère de Dieu-Amour qui donne le Fils élevé pour la vie de l’humanité, nous sommes invités aujourd’hui à approfondir au travers de l’Evangile qui vient d’être proclamé, les aspects fondamentaux de la mission de l’élévation de Jésus, il est grand temps, comme Lui-même l’a déclaré solennellement et publiquement.
Une telle réflexion nous aidera non seulement à découvrir ou à re-découvrir le sens caché de la passion et de la résurrection de Jésus pour nous préparer à la Semaine Sainte qui est proche, mais aussi à nous faire voir ou revoir notre vocation propre de chrétien, c’est-à-dire de disciples du Christ, appelés à suivre le Seigneur Notre Maître et à collaborer à sa mission. Cela apparaît dans les trois images du passage de l’Evangile que nous avons écouté ; le disciple Philippe, le grain tombé en terre et le Fils élevé qui attire tout.
1. Le disciple Philippe et les “Grecs” désireux de voir Jésus
Les « Grecs » qui demandent à Philippe à voir Jésus semblent être des non-israélites, des « gentils » qui se sont convertis au judaïsme, puisqu’ils étaient « montés pour le culte » à Jérusalem au temps de la Pâque, la « fête » par excellence. La citation de Philippe fait entrevoir l’importance de cette image parmi les disciples de Jésus. En effet, dans l’Evangile de Jean, ce disciple a été le premier à avoir été appelé par Jésus avec une invitation-ordre « Suis-moi !». Ensuite, c’est Philippe qui a amené Jésus chez son ami Nathanaël, en partageant ainsi avec ce-dernier la joie de la découverte du Messie en personne (Jn 1, 43-45). Jésus parlait avec Philippe dans l’épisode de la multiplication des pains, s’interrogeant sur le risque d’affamer les personnes qui Le suivaient. Curieusement, à ce moment-là, apparaissaient aussi le disciple André, aux côtés de Philippe, comme dans le récit de l’Evangile de ce jour, qui montre Philippe allant vers André et les deux vont ensuite présenter ensemble à Jésus la demande des Grecs. Ce sera Philippe dans le Dernier Repas qui demandera à Jésus de montrer le Père ; ce qui a « provoqué » un reproche de Jésus («Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? » Jn 14,9) et la révélation d’une vérité vertigineuse à regarder avec les yeux de la foi : « Celui qui m’a vu a vu le Père…..je suis dans le Père, et le Père est en moi ! » (Jn 14, 9b-11).
A la lumière de tout cela, nous entrevoyons dans Philippe la figure particulière, en fait la figure type du disciple missionnaire du Christ à qui la tradition chrétienne antique, comme vu dans l’Evangile de Jean, a réservé une mémoire et des honneurs particuliers. Ce disciple-type, d’un côté, était en communion constante avec Jésus pour grandir toujours dans la connaissance de son Seigneur et Maître en dépit de toutes ses limites et de ses distractions. D’un autre côté, il amène Jésus à ses amis et à ses connaissances, comme les « Grecs » de notre passage, en les aidant à rencontrer et à écouter personnellement le Seigneur et Maître qui s’adresse au cœur de tous, en révélant toujours plus les aspects intimes de la vie divine.
2. Le grain tombé en terre et son “heure”
En écoutant la demande des Grecs au travers de Philippe et André, la réponse de Jésus est un peu étrange, voire même hors sujet. Mais c’est seulement une apparence. En réalité, sans répondre ni oui ni non à la demande de le voir physiquement, le Seigneur indique immédiatement le chemin, la perspective, pour le voir, regarder au-delà des apparences de sa personne, de son existence et de sa mission, d’une manière plus profonde avec les yeux de la foi. Cette révélation « ouverte », même dans le langage métaphorique, s’accompagne d’une déclaration importante sur la venue de son heure, jamais faite auparavant dans le ministère public de Jésus. « L’heure est venue où le Fils de l’homme
doit être glorifié. »
Cette heure qui est la sienne est celle de la glorification, identique au processus suivi par le grain tombé en terre, comme l’indique Jésus de manière solennelle, avec le double Amen-Ame initial (En vérité, en vérité), typique de son style ; « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Il s’agit d’une image magnifique et très compréhensible, parce qu’elle traite de la vie quotidienne et parle d’une vérité universelle que même un paysan vietnamien peut comprendre. Il n’y a pas besoin de davantage d’explications ; il faut seulement goûter et contempler, derrière cette image, la vérité profonde du destin-mission, sur cette terre, de Jésus, Fils de Dieu et Fils de l’homme.
Ensuite, comme le révèlera ensuite Jésus lui-même, ce sera aussi la vocation de tous ses disciples : le courage de perdre (« détester » en langage sémitique) sa propre vie (pour Dieu) pour avoir la vie divine. Nous avons ici l’affirmation appuyée également sur les autres traditions de l’Evangile ; cela illustre avec une grande probabilité une pensée chère à Jésus qui l’a gravée dans l’esprit des premiers disciples.
Il s’agit d’une vocation qui n’est certainement pas facile, celle de mourir pour produire plus de fruit. Il n’y a pas eu un instant sans tentation et lutte interne pour Jésus, qui se sentait tourmenté dans l’âme à cet instant, reflet de ce qui se passera à Gethsémani selon les récits des autres Evangiles. Toutefois, l’amour réciproque entre le Père et le Fils et donc leur union intime, donnaient à Jésus la force d’accepter avec obéissance et confiance filiale, en déclarant courageusement ; «C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! ». Cette dernière demande de Jésus reprend curieusement la prière du Notre Père qu’Il a recommandé à ses disciples ; Notre Père, que ton nom soit sanctifié (tant il est vrai que certains biblistes retiennent que Jésus a commencé à ce moment-là le Notre Père avant d’être interrompu par la voix du Père au ciel). Ainsi le Notre Père que nous récitons, cette prière unique que Jésus a laissée à ses disciples, sera peut-être pour eux mystiquement et toujours la prière de et à cette « heure »- sommet de la mission de s’offrir par amour pour la vie de l’humanité, en union avec le Christ Seigneur.
3. «… et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes »
Pour Jésus, l’heure du sacrifice suprême de sa propre vie sera celle de la glorification divine, c’est-à-dire rendre manifeste la gloire de Dieu lorsque se révèle sa grande essence d’amour et de miséricorde pour l’humanité. C’est l’heure de la nouvelle alliance entre Dieu et son peuple, dans laquelle Dieu pardonne ses péchés, comme l’avait annoncé Jérémie (deuxième lecture). Avec une telle puissance d’amour, Dieu attire tout le monde à Lui en Christ, élevé de terre, comme annoncé dans Jérémie 31,3 « Je t’aime d’un amour éternel, aussi je te garde ma fidélité » (nous l’avons abordé dans le commentaire précédent).
Dans cette perspective, les disciples sont amenés à s’unir avec le Christ dans leur vie, pour le laisser vivre en eux et les attirer tous à travers eux. Ils ont la « destinée » d’être “élevés de terre” par et dans l’amour, comme leur Maître et Seigneur. En effet, comme le Christ est le grain tombé en terre qui meurt pour donner beaucoup de fruit, ainsi Il a indiqué à ses disciples la même vocation élevée : « c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jn 15,16). Et comme le Christ élevé de terre les attire tous à Lui avec la puissance mystérieuse de l’amour divin, ses disciples eux aussi sont invités à répandre une force d’attraction pour tous, à travers le sacrifice de leur vie.
Nous sommes ainsi invités, dans ce dernier temps de Carême, à redécouvrir et poursuivre notre chemin de disciples-missionnaires du Christ, à l’exemple du disciple Philippe, en vénérant si dignement avec les premiers chrétiens cette figure prééminente du Christianisme. Ses reliques sont particulièrement vénérées, avec celles de Jacques le mineur, dans la basilique des saints apôtres de Rome. (J’écris ces lignes avec beaucoup d’émotion et de gratitude pour le Seigneur, pour la grâce que j’ai d’habiter maintenant dans notre couvent franciscain voisin de cette basilique. Je souhaite à tous d’avoir la possibilité de venir ici en pèlerinage pour vénérer l’apôtre Philippe et tous les apôtres, pour qu’ils renouvellent, par leur intercession, le zèle apostolique de notre vie de disciples-missionnaires du Christ). Saint Philippe et tous les apôtres du Christ, priez pour nous ! Amen.