Chaque dimanche ou Solennité, le Père Anh Nhue Nguyen, secrétaire général à Rome de l’Union Pontificale Missionnaire, livre à notre réflexion son commentaire missionnaire biblique.
Ez 17,22-24; Ps 91; 2Co 5,6-10; Mc 4,26-34
Le mystère du Royaume et de la mission de Dieu en parabole
Avec l’Evangile de ce dimanche, le Seigneur Jésus nous invite à approfondir, à travers le langage spécifique de la parabole, quelques aspects fondamentaux du Royaume de Dieu qu’Il a proclamé et inauguré par sa mission. Il nous faut nous arrêter sur les trois points les plus importants.
1. Un rappel nécessaire de la mission de Jésus et de la réalité du Règne de Dieu
Tout d’abord, pour accueillir le sens des deux paraboles que nous écoutons aujourd’hui, il faut rappeler le contexte historico-existentiel dans lequel Jésus les a prononcées. Dans la narration de l’évangéliste Marc, nous nous trouvons dans la première partie étendue de l’enseignement du Christ peu après le début de son activité publique, avec l’annonce programmatique dans Mc 1,15 ; « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ».
Cette déclaration concise est tellement importante à garder en entier, parce qu’elle révèle les quatre dimensions entrelacées de la mission de Jésus ; le temps (final ou de l’accomplissement), le Règne (maintenant il s’en est approché), la conversion et donc la foi en cet Evangile, bonne nouvelle de Dieu. Ainsi, comme il est soulignée dans l’Encyclique Redemptoris Missio, « Le Christ rend présent le Royaume » et « conduit à son terme le plan de Dieu » en la matière. (n. 13). En particulier, souvenons-nous avec le Pape Saint Jean-Paul II que :
La proclamation et l’instauration du Royaume de Dieu sont l’objet de sa mission [de Christ]: «C’est pour cela que j’ai été envoyé» (Lc 4, 43). Mais il y a plus: Jésus est lui-même la Bonne Nouvelle» […] Sa force et le secret de l’efficacité de son action résident dans sa totale identification avec le message qu’il annonce: il proclame la Bonne Nouvelle non seulement par ce qu’il dit ou ce qu’il fait, mais par ce qu’il est. (Redemptoris missio, n. 13)
Dans cette perspective,
Jésus révèle progressivement les caractéristiques et les exigences du Royaume par ses paroles, ses œuvres et sa personne. Le Royaume de Dieu est destiné à tous les hommes, car tous sont appelés à en être les membres. (Redemptoris missio, n. 14).
En outre, « Le Royaume de Dieu est accompli et proclamé dans la Personne du Ressuscité»
En ressuscitant Jésus d’entre les morts, Dieu a vaincu la mort et, dans le Christ, il a inauguré définitivement son Règne. Pendant sa vie terrestre, Jésus est le prophète du Royaume et, après sa Passion, sa Résurrection et son Ascension au ciel, il participe à la puissance de Dieu et à son pouvoir sur le monde (cf. Mt 28, 18 ; Ac 2, 36 ; Ep 1, 18-21). La Résurrection confère une portée universelle au message du Christ, à son action et à toute sa mission. Les disciples se rendent compte que le Royaume est déjà présent dans la personne de Jésus et qu’il est instauré peu à peu dans l’homme et dans le monde par un lien mystérieux avec lui. (Redemptoris missio, n.16)
Ce qui est rappelé ci-dessus, bien que long, est nécessaire, parce que cela nous aide à mieux entrer dans le message de la parabole du Royame que Jésus expliquait à la foule et ensuite « en privé » à ses disciples, car, comme l’a justement remarqué un bibliste, « il est important de comprendre que le message et l’œuvre de Jésus étaient déjà centrés sur sa conviction que le temps futur du salut divin faisait déjà son apparition dans ses activités, pour ceux qui avaient des yeux pour voir. Ces paraboles doivent être lues avec l’excitation et l’urgence de cette idée à venir, sinon, pour des lecteurs modernes,
elles peuvent devenir seulement de petites histoires pittoresques avec des leçons morales insignifiantes ». L.W. Hurtado, Mark [New International Biblical Commentary 2], 77-78).
2. La force du Royaume dans l’image de la semence qui germe et grandit spontanément.
De cette perspective centrée sur le Christ et eschatologique notée ci-dessus, nous pouvons comprendre le sens fondamental que la parabole du grain semé en terre veut nous transmettre. Nous avons ici un récit que l’on ne trouve que dans l’Evangile de Marc. Dans ce récit, Jésus utilise le miracle de la nature concernant la croissance du grain pour nous enseigner la même vérité sur la réalité du règne de Dieu.
Comme le grain semé en terre, ce Règne est déjà inauguré par la venue du Christ et il continuera son processus de germination et de croissance “spontanément” jusqu’au temps de la maturation et donc de la moisson. Tout cela advient de manière mystérieuse «il [le semeur] ne sait comment», et indépendamment de son attention, de ses préoccupations ou de son inquiétude « nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit ».
Ici, visiblement le travail de l’homme n’est pas mis en cause, il n’est même pas mentionné, car l’accent de la parabole est mis sur l’action « spontanée » et « naturelle » de la terre qui fait tout !
Et le regard du croyant entrevoit la main de Dieu invisible mais puissante qui se trouve derrière la « terre », en fait la « terre » pour l’aider à transformer la semence et en faire « l’herbe,
puis l’épi, enfin du blé plein l’épi »! Il s’agit du regard mystique d’étonnement et aussi de gratitude envers Dieu de la part de l’agriculteur qui après avoir travaillé dur pour cultiver la terre, reste toujours conscient de la « collaboration » mystérieuse et décisive du Créateur.
S’il en est ainsi pour le Royaume de Dieu, il n’en sera pas autrement pour la dynamique de la mission et tous les disciples-missionnaires du Christ seront appelés à remarquer et à toujours reconnaître l’action sûre et décisive de Dieu dans la réalisation de son Règne, c’est-à-dire, le plus souvent, dans le rapport disproportionné au peu de travail de l’homme. Comme l’affirmait l’apôtre saint Paul à propos de sa mission et de celle d’Apollos, l’autre missionnaire de la construction de la communauté, « moi, j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance » (1Co 3,6).
Une telle impression nous aide à être plus humbles, plus calmes, et plus fidèles à la mission, surtout dans les temps d’adversité apparemment insurmontables, exactement comme Jésus lui-même s’est confié à Dieu dans l’épreuve suprême de Gethsémani, de la croix et de la mort.
3. Le fruit grandiose du règne de Dieu qui commence petitement “comme une graine de moutarde”
Le même optimisme transparaît dans la parabole suivante, celle de la graine de moutarde, qui est la dernière de ce discours de Jésus en parabole dans Mc 4. L’accent est mis maintenant sur la grandeur du résultat final par rapport à l’investissement initial ; de la plus petite de toutes les graines on obtient la plus grande de toutes les plantes du potager.
Visiblement les affirmations de Jésus sur la taille de la graine et de la plante sont faites en lien avec la vision commune de l’époque (et pas avec le regard de la biologie moderne), parce qu’Il donne ici davantage une révélation de la réalité du Royaume qu’une leçon de jardinage. Donc, Il a voulu décrire à dessein à la fin la grandeur de la plante de moutarde qui presque comme un chêne, avec un ajout significatif sur le plan biblique et théologique : [la plante] « étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre ».
Cette description reprend le langage des prophètes comme Ezéchiel que nous avons écouté dans la première lecture à propos du grand avenir du Peuple élu, soigné et protégé par Dieu (cf. Ez 17,43; 31,6; Dn 4,12).En outre, en se reportant à ce contexte de l’Ancien Testament, on peut aussi entrevoir dans l’image de l’arrivée des oiseaux qui font leur nid à l’ombre de l’arbre une référence possible à l’accueil de tous dans le règne de Dieu.
Ainsi, la parabole du grain de moutarde semble souligner non seulement le triomphe du Royaume sur le monde à la fin des temps malgré sa petitesse initiale, mais aussi la dimension universelle de cette réalité divine qui accueille tous les peuples « à son ombre ». Ainsi, la mission pour le Royaume, inaugurée par Jésus et annoncées par ses disciples sous son mandat, sera toujours marquée par cette universalité et cet accueil pour toute l’humanité, pour chaque homme/femme en particulier, comme Lui-même l’a recommandé avant de retourner au Père ; « Allez ! De toutes les nations faites des disciples […]. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,19-20).
Prions alors, pour que le Seigneur nous aide à faire grandir toujours plus en nous la semence du Royaume de Dieu pour pouvoir ensuite faire advenir son règne autour de nous jusqu’à la fin des temps. Amen.