Chaque dimanche ou Solennité, le Père Anh Nhue Nguyen, secrétaire général à Rome de l’Union Pontificale Missionnaire, livre à notre réflexion son commentaire missionnaire biblique.
Textes de la Messe : Gn 15,5-12.17-18 ; Ps 26 ; Ph 3,17-4,1 ; Lc 9,28b-36
« Le passage de l’évangile du II dimanche de Carême est invariablement le récit de la Transfiguration » nous dit le Directoire sur l’Homélie (no. 64) et qui l’explique plus précisément dans le passage suivant : « La Transfiguration occupe une place fondamentale durant le Temps du Carême. En effet, l’ensemble du Lectionnaire du Carême est un guide qui permet aux catéchumènes de se préparer à recevoir les sacrements de l’initiation durant la Vigile pascale, tout comme il prédispose les fidèles à se renouveler dans la vie nouvelle, qui constitue pour eux une nouvelle naissance. Si le I dimanche de Carême évoque d’une manière particulièrement efficace la solidarité de Jésus avec chacun de nous dans la tentation, le II dimanche nous rappelle que la gloire qui resplendit sur le corps de Jésus est la même gloire à laquelle il veut associer tous les baptisés dans sa mort et sa résurrection » (no. 67). C’est exactement ce qu’a affirmé saint Paul dans la seconde lecture d’aujourd’hui : « le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Ph 3,20-21). Nous sommes donc tous invités à approfondir certains aspects de cet événement important dans le cheminement du Christ et de ses disciples pour le renouvellement de notre vie chrétienne missionnaire.
« En ce temps-là » – La Transfiguration sur le chemin de la mission
Le premier aspect fondamental à clarifier sera le contexte temporel de l’événement (qui est rendu dans les Lectionnaires en différentes langues avec une note générique « en ce temps-là »). La transfiguration du Christ a eu lieu après la profession de foi de Pierre («Tu es le Christ»), immédiatement suivie de la première annonce de la passion aux disciples, par laquelle le Christ révèle sa véritable mission messianique (« et déclara : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. »; Lc 9,22). De plus, avec cette révélation, il invite chacun à le suivre sur le chemin de la Croix et de l’abnégation pour «entrer dans la gloire» (Lc 9,23-24: «Il leur disait à tous : “ Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera ”» ; cf. Lc 24,26). Ainsi, la transfiguration du Christ n’est pas un épisode isolé pour montrer ou admirer le « spectacle divin » sur la montagne, mais elle fait entièrement partie du cheminement de la mission qu’il accomplit avec les disciples dans un but clairement pédagogique et parénétique pour ces derniers.
À cet égard, l’annotation temporelle originale de l’évangéliste Luc « Environ huit jours après » (Lc 9,28a) pour la Transfiguration (à la différence de « six jours après » dans Mc 9,2 et dans Mt 17,1) semble vouloir indiquer encore plus le lien étroit entre l’événement et la Résurrection de Jésus au huitième jour (le premier après le samedi, septième jour de la semaine), qui sera le but ultime de la mission. De plus, Saint Luc sera le seul à mettre en lumière le contenu de la conversation entre Jésus avec les deux représentants de toute l’Écriture, Moise (Loi) et Élie (Prophètes) : « Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem ». Il fait clairement allusion à la Passion de Jésus, sur son « passage » c’est-à-dire Pâque de mort et de résurrection, qui s’accomplit alors selon la Parole de Dieu annoncée au Peuple élu dans la Sainte Écriture. La mission de Jésus est donc le chemin d’un « nouvel exode », tant espéré par le prophète Isaïe (cf., par exemple, Is 43,16-21). Ce sera l’exode définitif qui sortira le peuple de l’oppression des péchés et de la mort pour passer à la plénitude de la vie en Dieu. Cependant, il passera aussi par le désert des tentations, des épreuves, des souffrances, mais il finira toujours par l’entrée dans la Terre promise. Si la mission de Jésus est ainsi, celle de ses disciples sera-t-elle différente ?
Dans cette perspective, dans la prière de la Préface de ce dimanche, « Au début de la Prière eucharistique, le prêtre, au nom de tout le peuple, rend grâce à Dieu par le Christ notre Seigneur pour le mystère de la Transfiguration: « Après avoir prédit sa mort à ses disciples, il leur manifesta sa gloire sur la montagne sainte, et en appelant la loi et les prophètes comme témoins, il révélait aux apôtres que c’est seulement à travers la Passion que nous pouvons parvenir au triomphe de la résurrection » (Directoire sur l’Homélie no. 65). Sur la même ligne de pensée, le Catéchisme de l’Église Catholique indique : « La Transfiguration nous donne un avant-goût de la glorieuse venue du Christ (…).Mais elle nous rappelle aussi qu’“ il nous faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu ” (Ac 14, 22) » (n. 556). Ce « nous faut » des tribulations pour la gloire ne signifie évidemment pas que les disciples du Christ devront les rechercher ou même les créer à leur guise (comme des masochistes !). Elle affirme simplement la vérité, qui est que la mission des disciples sera comme celle du Maître. Cette mission devra affronter des difficultés, des souffrances, des croix quotidiennes pour l’Évangile et pour le Royaume de Dieu. Le Mont de la Transfiguration est relié au Mont du Calvaire. Il ne faut donc pas s’étonner s’il y a des obstacles (y compris des tentations) dans le cheminement chrétien missionnaire, mais il faut toujours se souvenir des paroles rassurantes du Maître : « Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde » (Jn 16,33).
« Pendant qu’il priait »
La note originale de l’évangéliste Luc sur la prière doit être rappelée comme un moment où « l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante ». Comme déjà vu dans le baptême de Jésus, ici aussi nous pouvons entrevoir le rôle fondamental de la prière, comprise comme immersion dans la communion avec Dieu, dans la vie et la mission de Jésus et donc aussi de ses disciples. De plus, on pourrait même imaginer que chaque disciple du Christ, plongé dans une prière authentique avec Dieu, soit comme transporté sur une haute montagne et soit en quelque sorte aussi « transfiguré », comme s’est produite la transfiguration de Jésus : « pendant qu’il priait ». Ce moment d’intense expérience spirituelle avec Dieu ouvre le Ciel, comme lors du baptême de Jésus, et fait que l’orant « change d’apparence », comme lors de la Transfiguration. Ainsi, ceux qui vivent constamment dans la prière, comme saint François d’Assise (jusqu’à devenir lui-même « la prière qui marche »), seront constamment « transfigurés » avec et dans le Christ.
Et si tel est le cas de la prière, ce sera particulièrement vrai pour chaque Sainte Messe, dans laquelle nous sommes plongés dans la prière, dans l’écoute de la Parole, dans la communion eucharistique avec le Christ uni sacramentellement à ses disciples. Ce sont les précieux moments que le Christ donne à ses fidèles sur le chemin de la mission, comme une sorte de transfiguration sacramentelle hebdomadaire/quotidienne du Christ pour nous, afin que nous puissions aussi goûter une pincée de notre transfiguration avec lui et en lui. Voici l’invitation du psalmiste : « Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage », plutôt, « Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! » (Ps 33,6.9). En effet, « Ce que les trois disciples avaient entendu et contemplé durant la Transfiguration se reproduit exactement dans le cadre de l’action liturgique, durant laquelle les fidèles reçoivent le Corps et le Sang du Seigneur. (…) Bien qu’ils soient encore ici-bas, les fidèles reçoivent son Corps et son Sang, et ils entendent la voix du Père qui leur dit dans l’intimité de leur cœur : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le » (Directoire sur l’Homélie no. 68).
Dans cette optique, ce dimanche de Carême de la Transfiguration sera peut-être l’occasion de renouveler notre vie au cours de chaque Sainte Messe qui est de plus en plus un moment d’expérience forte du Christ glorieux tel qu’il était autrefois sur la haute montagne de Galilée.
Les disciples de la Transfiguration
Au moment de la transfiguration du Christ, le comportement des disciples est quelque peu curieux et un peu confus. Tout d’abord, ils « étaient accablés de sommeil », comme le relate Saint Luc. On retrouve encore cette attitude chez eux dans l’agonie de Jésus à Gethsémané, toujours quand Jésus priait (cf. Lc 22, 45). Deux mille ans se sont écoulés, apparemment, peu de choses ont changé chez les disciples de Jésus qui s’endorment souvent dans les moments forts de la prière et de la présence du Christ glorieux (surtout pendant la messe et particulièrement pendant le sermon !). Pourtant, sur le Mont de la Transfiguration, à leur réveil, les trois disciples éprouvèrent la beauté de la gloire du Christ transfiguré au point de s’exclamer « Maître, il est bon que nous soyons ici ! » et de vouloir rester plus longtemps en proposant de faire « trois tentes ». C’est une proposition plutôt dictée par l’émotion forte du moment (à tel point que « [Pierre] ne savait pas ce qu’il disait »). Tout cela (y compris la confusion) montre indirectement l’intensité de l’expérience qu’un disciple pourrait avoir à la vision du Christ sur la montagne.
Mais le plan de Dieu pour l’événement n’est pas ce qu’ils pensent et désirent. La transfiguration continue et culmine avec la manifestation divine à travers deux éléments qui sont déjà apparus dans la théophanie du mont Sinaï : la nuée qui les recouvre et la voix (provenant de la nuée) qui confirme l’identité de Jésus comme « celui que j’ai choisi » et « Fils [de Dieu] », comme au cours du Baptême de Jésus. Ce sont des mots exclusivement réservé pour Jésus, comme l’indique subtilement l’évangéliste « Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul ». Dans cette perspective, la recommandation « écoutez-le ! » de la voix divine, qui résonne de la nuée sur la montagne comme au Sinaï, acquiert une signification fondamentale pour les disciples : maintenant en Jésus se manifeste la plénitude de la Parole du Père, donnée à Moïse (Loi) et à Élie (Prophètes). « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses » (Heb 1,1-2).
Comme Pierre, Jacques, Jean, nous sommes tous appelés à devenir de plus en plus disciples de la transfiguration, c’est-à-dire disciples du Christ transfiguré. Nous sommes appelés concrètement à gravir souvent la montagne avec lui, à y être plus éveillés, à « entrer dans la nuée » de l’Esprit sans crainte, et surtout à l’écouter et à le suivre comme seul chemin vers le Père, pour être aussi nous transformés, voire transfigurés avec lui et en lui dans notre cheminement missionnaire chrétien. Et il est temps de (re)commencer. A partir de ce dimanche de la Transfiguration.