Chaque dimanche ou Solennité, le Père Anh Nhue Nguyen, secrétaire général à Rome de l’Union Pontificale Missionnaire, livre à notre réflexion son commentaire missionnaire biblique.
Sg 2,12.17-20; Ps 53; Jc 3,16-4,3; Mc 9,30-37
L’épisode évangélique d’aujourd’hui nous parle de la deuxième prédiction de Jésus concernant la phase culminante de sa mission. La première, faite sur le chemin de Césarée de Philippe, nous l’avons entendue dimanche dernier. Étrangement, cette fois aussi, les disciples se sont comportés comme lorsqu’ils l’entendirent pour la première fois. Autrement dit, ils ont des pensées humaines. Cette situation a conduit Jésus à transmettre des derniers enseignements sur les attitudes que chaque disciple devrait avoir dans l’accomplissement de la mission divine. Ainsi, aujourd’hui encore, les paroles de Jésus sont pour nous, ses disciples modernes, un rappel pressant à examiner nos consciences, en particulier sous trois aspects, pour un possible renouveau spirituel missionnaire.
1. Une révélation confidentielle aux disciples
Avant tout, il faut approfondir les circonstances particulières dans lesquelles s’est produite cette seconde prédiction de Jésus concernant sa mort douloureuse. Il a confié cette vérité à ses disciples lorsqu’ils «traversaient la Galilée» et délibérément incognito, comme le souligne bien l’évangéliste Marc : «il ne voulait pas qu’on le sache». Il s’agit donc d’une révélation très confidentielle réservée aux disciples intimes, et cela s’est produit de manière significative au cours de leur voyage à travers la Galilée, qui est le territoire d’Israël mais en même temps est aussi appelée la Galilée des Gentils. On entrevoit ainsi l’horizon universel de l’annonce de Jésus sur l’accomplissement de sa mission en tant que Fils de l’homme et Messie de Dieu. Par ailleurs, cet enseignement de Jésus, “réservé” et “dans la rue”, semble aussi être une invitation implicite aux disciples d’accepter un « destin » aussi tragique pour leur Maître-Messie et aussi pour leur vie et leur mission à Le suivre, c’est-à-dire à marcher derrière Lui !
En réalité, la vie de Jésus Messie, avec une fin si drastique devant les hommes, mais avec la récompense divine après la mort, reflète le sort du juste persécuté, déjà décrit par l’auteur sacré dans le livre de la Sagesse (première lecture). Le Fils juste de Dieu doit faire face aux épreuves dans la vie, faites par les méchants « avec outrages et tourments », aux rejets et à la condamnation à mort. Et Jésus lui-même, en communion mystique constante avec le Père et aussi à la lumière de la Parole divine et des justes de Dieu dans l’histoire de son peuple, a déjà pu voir constamment sa propre fin avant même que tout ne soit accompli. Ainsi, Il a révélé à ses disciples…
2. « De quoi discutiez-vous en chemin ? » La dure vérité sur la “guerre” des apôtres !
Malheureusement, alors que Jésus parlait de son humiliation dans la passion et dans le sacrifice suprême de la vie, ses disciples non seulement ne montraient aucun intérêt à demander ou à discuter avec le Maître, mais ils se permettaient également de penser à leurs affaires humaines, pour ne pas dire autre. En fait, « ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand ». Nous pouvons certainement sourire de ce fait que l’évangéliste a souligné peut-être avec une certaine ironie. Ce qui s’est passé semble cependant refléter une situation typique qui se répète, d’une manière ou d’une autre, parmi les disciples de Jésus, de génération en génération ! Ainsi, encore aujourd’hui, il y a quelqu’un qui, tout en récitant le chapelet avec les mystères douloureux de Jésus, pense de temps en temps au moment où il sera nommé supérieur de la communauté !
Concernant cette aspiration à devenir plus grand parmi les chrétiens, la Lettre de Jacques, écrite au premier siècle du christianisme, nous donne déjà un aperçu de certaines situations de “guerre” dans sa communauté. Ainsi, l’auteur sacré se devait d’avertir puis de dénoncer : « Car la jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes. […] D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas justement de tous ces désirs qui mènent leur combat en vous-mêmes ? Cette guerre continue entre les disciples de Jésus pour la grandeur a été, est et restera toujours le plus grand obstacle à l’œuvre d’évangélisation du monde qu’ils tentent de réaliser sur mandat de leur Maître et Seigneur. Personne ne cède à personne, parfois même au nom de la vérité divine ! Ici, il faut répéter le cri du pape François dans Evangelii Gaudium « Non à la guerre entre nous » (cf. nn. 98-101), avec son analyse cinglante de la situation actuelle :
À l’intérieur du Peuple de Dieu et dans les diverses communautés, que de guerres! Dans le quartier, sur le lieu de travail, que de guerres par envies et jalousies, et aussi entre chrétiens ! La mondanité spirituelle porte certains chrétiens à être en guerre contre d’autres chrétiens qui font obstacle à leur recherche de pouvoir, de prestige, de plaisir ou de sécurité économique. De plus, certains cessent de vivre une appartenance cordiale à l’Église, pour nourrir un esprit de controverse. Plutôt que d’appartenir à l’Église entière, avec sa riche variété, ils appartiennent à tel ou tel groupe qui se sent différent ou spécial. (n. 98)
Kyrie Eleison !
3. Les principes fondamentaux de la mission
Par conséquent, l’enseignement de Jésus à cet égard, donné aux Douze désormais «dans la maison », reste actuel et pertinent in saecula seculorum pour tous dans l’Église, ou dans la maison de Dieu : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » L’importance particulière de cette leçon de Jésus est soulignée par la manière solennelle avec laquelle il l’a transmise : « S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit». Cette solennité dans la description de la circonstance est comparable au moment où Jésus appela et établit pour la première fois les Douze sur la montagne (cf. Mc 3,13-14). Ainsi, l’enseignement dispensé par Jésus maintenant chez lui depuis la position “assis”, en tant que Maître, invite à nouveau chacun des disciples à prendre au sérieux sa véritable vocation d’être le dernier, “serviteur de tous”, dans le chemin de la mission, exactement comme lui qui «ayant la condition de Dieu, […..] s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix» (Ph 2,6-8).
Voici le premier principe fondamental pour réaliser la mission de Dieu et du Christ : vivre l’attitude d’un humble serviteur de tous et en tout, à l’exemple de Jésus, jusqu’à offrir sa vie. C’est un point si important que Jésus le propose à nouveau à un autre moment : « Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous: car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 44-45). Il est clair que le service, dans la mission de Jésus et de ses disciples, ne doit pas seulement s’exprimer par des actes individuels, mais aussi et surtout par l’offrande de toute sa vie, qui devient comme le pain rompu pour tous.
Le devenir dernier implique d’être de plus en plus petit. Cette perspective semble animer l’enseignement de Jésus aux disciples à cette occasion, avec l’illustration vivante d’un enfant : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille Ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé». Cette phrase trouve son parallèle dans une autre déclaration de Jésus aux disciples envoyés en mission : « Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé » (Mt 10, 40)
Ici se reflete le principe juif di Shaliah bien connu, “Envoi”, au temps de Jésus, selon lequel le messager envoyé représente pleinement celui qui l’envoie. Sur cette base, Jésus révèle la chaîne missionnaire divine : Dieu – Jésus – les apôtres. Mettre ensemble les deux affirmations susmentionnées nous permet d’entrevoir deux vérités fondamentales : d’une part, l’enfant, petit et sans défense, devient paradoxalement l’image idéale du messager de Jésus ; d’autre part, chaque disciple missionnaire de Jésus est appelé à devenir de plus en plus petit, comme un enfant, devant tous, pour représenter Jésus dans sa mission. Ainsi, à la suite du Christ, le disciple missionnaire s’annihile avec toutes ses ambitions de réussite et de grandeur, en se confiant totalement à Dieu et au Christ qui l’a envoyé, même sur le chemin de la douleur et de la croix.
Nous concluons donc notre réflexion en rappelant dans la prière un passage significatif du message du pape François pour la Journée missionnaire mondiale 2022 : «Les missionnaires du Christ ne sont pas envoyés pour se communiquer eux-mêmes, pour montrer leurs qualités et leurs capacités de persuasion ou leurs compétences en matière de gestion. Ils ont, au contraire, le grand honneur d’offrir le Christ, en paroles et en actes, en annonçant à tous la Bonne Nouvelle du salut avec joie et franchise, comme les premiers apôtres». Que le Christ nous accompagne toujours dans ce chemin missionnaire avec sa force et sa sagesse d’en haut ! Amen.