Chaque dimanche ou Solennité, le Père Anh Nhue Nguyen, secrétaire général à Rome de l’Union Pontificale Missionnaire, livre à notre réflexion son commentaire missionnaire biblique.
Textes de la Messe : Ne 8,2-4a.5-6.8-10 ; Ps 18 ; 1Co 12,12-30 ; Lc 1,1-4 ; 4,14-21
Le troisième dimanche du temps ordinaire a été institué « dimanche de la Parole de Dieu » en 2019 par le pape François avec la lettre apostolique en forme de Motu proprio « Aperuit illis ». Le Saint-Père rappelle dès le début du document : « La relation entre le Ressuscité, la communauté des croyants et l’Écriture Sainte est extrêmement vitale pour notre identité. Si le Seigneur ne nous y introduit pas, il est impossible de comprendre en profondeur l’Écriture Sainte. Pourtant le contraire est tout aussi vrai : sans l’Écriture Sainte, les événements de la mission de Jésus et de son Église dans le monde restent indéchiffrables. De manière juste, Saint Jérôme pouvait écrire : « Ignorer les Écritures c’est ignorer le Christ » (In Is., prologue : PL 24, 17) » (no.1). Et celui qui ne le connaît pas proclamera-t-il le Christ ? De plus, « Ce jour consacré à la Bible veut être non pas « une seule fois par an », mais un événement pour toute l’année, parce que nous avons un besoin urgent de devenir familiers et intimes de l’Écriture Sainte et du Ressuscité, qui ne cesse de rompre la Parole et le Pain dans la communauté des croyants. C’est pourquoi nous avons besoin d’entrer constamment en confiance avec l’Écriture Sainte, sinon le cœur restera froid et les yeux resteront fermés, frappés comme par d’innombrables formes de cécité » (no.8). Et si un cœur chrétien est froid, comment pourrait-il transmettre le Christ aux autres ?
Par conséquent, nous tous chrétiens, en particulier ceux qui sont engagés en première ligne de la mission ad gentes, sommes appelés cette fois encore à commencer ou à recommencer à vivre sérieusement la Parole de Dieu chaque jour, à toujours entendre et suivre la voix de Dieu au plus profond de notre cœur, puis de la partager avec les autres. Ce sera le bon moment pour découvrir la profondeur et la richesse du message de Dieu dans les Écritures, en particulier dans l’enseignement du Christ lui-même qui nous a été transmis par les apôtres (cf. Lc 1,1-4). Par la providence divine, l’évangile de cette messe nous fait écouter la déclaration fondamentale de Jésus dans un épisode clef que saint Luc, contrairement aux autres évangélistes, place intentionnellement au début des activités publiques d’évangélisation du Christ : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre ». Attardons-nous sur chaque détail de cette phrase, car elle nous aidera sans nul doute à reprendre en ce jour le chemin avec la Parole de Dieu.
1. « Aujourd’hui »
Ce mot clef dans la bouche du Christ reflète un concept fondamental dans les Écritures. Cet « aujourd’hui » ne se réfère pas seulement à ce jour précis du passé dans la Synagogue de Nazareth, mais indique aussi et surtout l’éternel moment existentiel du salut. Luc insiste particulièrement sur cet aspect, utilisant une série d’« aujourd’hui » dans son Évangile : « Aujourd’hui, […], vous est né un Sauveur (Lc 2,11) ; « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. […] Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison » (Lc 19,5-9) ; et Jésus sur la croix déclare au bon larron : « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23,43) ; il n’a pas dit : « Attends ma résurrection le troisième jour et tu seras avec moi au Paradis », mais « aujourd’hui », tout de suite « aujourd’hui » ! Il ne s’agit donc pas tant de l’« aujourd’hui » du temps mais bien de cet « aujourd’hui » de Dieu dans la vie de celui à qui il s’adresse.
Par conséquent, dans la Bible, nous rencontrons tant d’ « aujourd’hui », qui spirituellement ne sont pas des jours différents, mais des jours qui convergent en réalité dans un grand « aujourd’hui » de la Parole vivante de Dieu, destinée à chaque auditeur/lecteur en son temps pour l’appeler à la vie en Dieu. Pour cette raison, voici la voix de Dieu pour notre « aujourd’hui » dans un texte célèbre de l’Ancien Testament : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert, comme au jour de tentation et de défi, où vos pères m’ont tenté et provoqué » (Ps 94,7-9). Et voici la Parole de Dieu dans le Nouveau Testament, dans la lettre aux Hébreux, qui reprend précisément cet « aujourd’hui » annoncé pour inviter avec patience le peuple de la Nouvelle Alliance à y réfléchir : « Au contraire, encouragez-vous les uns les autres jour après jour, aussi longtemps que retentit l’“ aujourd’hui ” de ce psaume, afin que personne parmi vous ne s’endurcisse en se laissant tromper par le péché. Car nous sommes devenus les compagnons du Christ, si du moins nous maintenons fermement, jusqu’à la fin, notre engagement premier Il est dit en effet : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre cœur comme au temps du défi. Qui donc a défié Dieu après l’avoir entendu ? » (Heb 3,13-16). Y a-t-il encore aujourd’hui des cœurs endurcis parmi nous, alors que nous réécoutons ces saintes paroles ?
2. « [Aujourd’hui] s’accomplit ce passage de l’Écriture »
Jésus proclame l’accomplissement de l’Écriture qu’il vient de proclamer « aujourd’hui ». Son accomplissement du passage cité d’Isaïe nous donne un aperçu de deux aspects.
Tout d’abord, la fidélité de Dieu dans l’accomplissement de sa Parole. En effet, en Dieu toute parole est déjà acte, comme le suggère le sens du terme hébreu dabar et tel qu’on le voit dans la création : Dieu a dit…, et il en fut ainsi (cf. par exemple, Gn 1,3.6-7.9). Le même prophète Isaïe a transmis l’affirmation de Dieu à cet égard : « La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission » (Is 55,10-11).
Deuxièmement, l’accomplissement de l’Écriture dans la vie de Christ ne sera pas un accomplissement statique. C’est quelque chose qui va toujours au-delà des choses prédites avec le langage humain qui exprime parfois des concepts purement humains. Dans le Christ, Dieu accomplit sa Parole d’une manière surprenante, c’est-à-dire en nous surprenant toujours par ses éternelles nouveautés. Ainsi, d’une part, Jésus proclame : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes [c’est-à-dire toutes les Écritures] : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5,17). D’autre part, en citant le passage d’Isaïe, Jésus déclare sa mission comme déjà décrite dans l’Écriture, mais s’arrête à juste titre aux mots « annoncer une année favorable accordée par le Seigneur ». Il n’a pas voulu terminer par la phrase, expression d’un langage guerrier humain, qui suit dans le texte original d’Isaïe : « [proclamer] un jour de vengeance pour notre Dieu » (Is 61,2). De cette façon, il s’est concentré sur la mission authentique, reçue de Dieu, qui est d’inaugurer l’ère de la grâce du Seigneur valable pour toute l’humanité, y compris les « ennemis » d’Israël. (Le triomphe de Dieu sera celui de la miséricorde, de la vie et du salut). Bien plus, Jésus a validé pour toujours, en cette « année » éternelle de la grâce divine, les quatre activités fondamentales qu’Il accomplira comme « consacré » par l’Esprit et « envoyé par Dieu » : « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, aux aveugles qu’ils retrouveront la vue ; remettre en liberté les opprimés » (cf. Lc 4,18).
Sont énumérés les aspects programmatiques emblématiques pour un salut intégral de l’homme, dont le premier comprend tous les autres. En d’autres termes, le cœur de la mission messianique de Jésus est de « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres» ou littéralement « évangéliser les pauvres », où l’action d’annoncer est clairement mise en évidence (et non pas tant le contenu de l’annonce). Ainsi, pour répondre aux doutes de Jean-Baptiste, Jésus a confirmé son identité de Messie attendu par le peuple, en soulignant qu’avec lui « les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle » ou littéralement « les pauvres sont évangélisés » (cf. Mt 11,5). Donc, si cela et d’autres actions mentionnées étaient chères à Jésus, elles le seront certainement aussi pour chacun de ses disciples, consacrés-missionnaires de Dieu, pour la réflexion et l’actualisation, pour un accomplissement continu de la Parole. (L’expression était très chère à saint Eugène de Mazenod, fondateur des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, qui l’avait choisie comme devise de sa société missionnaire : « Evangelizare Pauperibus Misit Me. Pauperes Evangelizantur »). Et comme pour Jésus, il en va de même pour l’Église, évangéliser est sa mission qui détermine sa vocation et son identité. Le pape François nous le rappelle avec justesse dans son récent message pour la Journée missionnaire mondiale 2022 : « L’identité de l’Église est d’évangéliser ».
3. « [Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture] que vous venez d’entendre »
La phrase originale sonne de manière énigmatique : « Aujourd’hui cette Écriture s’est accomplie à vos oreilles ». Toutefois, avec cela, un point important peut être perçu : la double nature de l’accomplissement. D’une part, l’accomplissement de la Parole de Dieu est une réalité objective, indépendante de la volonté humaine, car elle dépend de la volonté de Dieu. En effet, à ce moment précis dans la Synagogue de Nazareth, tout se fait avec et en la personne de Jésus, avec ou sans le consentement des auditeurs. D’autre part, la Parole de Dieu exige et invite la collaboration de ceux qui l’écoutent, pour qu’elle s’accomplisse pleinement en eux. L’accomplissement des Écritures implique également une certaine dimension subjective. Par conséquent, Jésus rappelle « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » (Mc 4,9). En effet, à la femme qui lui a dit « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! », Jésus proclame : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11,27-28).
Face à de tels rappels sincères de Jésus, qui d’entre nous sera encore indifférent ? Que ces paroles de l’apôtre Pierre soient aussi les nôtres aujourd’hui : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets » (Lc 5,5). Ainsi soit-il !