Comme l’a souhaité le Pape François en 2019 par le motu proprio Aperuit Illis, le troisième dimanche du temps ordinaire est aussi le dimanche de la Parole de Dieu, destiné à mettre en valeur toute la richesse et le caractère vivant des Saintes Écritures (source Vatican News). Et précisément, l’évangile de ce dimanche concerne le premier message que le Christ a annoncé au monde entier, sa première Parole destinée à tous.
Le Père Anh Nuhe Ngyuen, secrétaire général à Rome de l’Union Pontificale Missionnaire, livre à notre réflexion son commentaire missionnaire biblique.
21 janvier 2024, 3e dimanche du temps ordinaire, année B
Jon 3,1-5.10 ; Ps 24 ; 1Co 7,29-31 ; Mc 1,14-20
La Première annonce de Jésus à tous
L’Évangile d’aujourd’hui nous invite à contempler le début des activités publiques de Jésus, telles qu’elles sont racontées par saint Marc évangéliste. Il s’agit du tout premier message que Jésus a annoncé au monde entier pour commencer son ministère de «proclamer l’Évangile de Dieu», ainsi que son appel aux premiers disciples. Chacune des paroles de Jésus a ici un poids singulier, qui révèle et fait comprendre les caractéristiques fondamentales de la mission du Christ et, par extension, de celle de tous ses disciples. Une étude spéciale et approfondie est donc nécessaire, ce qui est également plus qu’approprié dans le contexte actuel du Dimanche de la Parole et de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens que nous célébrons ces jours-ci.
« Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche ». Une déclaration fondamentale concernant le contexte de la mission de Jésus
La toute première proclamation de Jésus, selon l’Évangile de saint Marc, est concise dans sa forme et exprime l’essence de tout son ministère d’évangélisation. Il s’agit en fait du « sermon » le plus court de tous les temps et en même temps le plus important. Il commence par une double déclaration (« Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche ») et se termine immédiatement par une double exhortation (« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile »), en réponse à la situation qui vient d’être déclarée. On voit alors tout le poids de cette double affirmation sur le contexte temporel et existentiel de l’humanité que Jésus a voulu souligner au début de sa proclamation programmatique.
En effet, c’est précisément cela la bonne nouvelle, parce qu’elle révèle toute l’initiative du Dieu fidèle qui, en Jésus, a porté le temps à son accomplissement et à sa plénitude, dont le signe est l’approche du Royaume de Dieu à toute l’humanité. L’annonce de Jésus, qui sera un modèle pour tous ses disciples missionnaires, est avant tout une mise en évidence de la “situation” de Dieu à l’égard de l’humanité, indépendamment du fait que l’humanité le connaisse ou non, comment et jusqu’à quel point. Cette proclamation missionnaire “kérygmatique” est avant tout une déclaration d’amour divin, avant même tout appel à l’engagement humain de la conversion et de la foi. Rappelons-nous : « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3,16).
«Convertissez-vous et croyez à l’Évangile». Une exhortation permanente à la conversion à l’Évangile
Dans ce contexte des temps accomplis et de l’approche du Royaume de Dieu, la venue de Jésus et son annonce deviennent plus pressantes que jamais. Dès lors, l’humanité entière est entrée dans le temps dit eschatologique, celui de la fin des temps, celui du salut final, qui est donné gratuitement en Jésus maintenant, dans cette fameuse “année de grâce”, prédite par Isaïe et proclamée par Jésus lui-même dans la synagogue de Nazareth. L’initiative revient entièrement à Dieu, qui précède toujours l’homme par sa grâce. C’est pourquoi, avec ce présupposé fondamental, en complétant la phrase, Jésus exhorte : «Convertissez-vous et croyez à l’Évangile» (Mc 1,15b). L’enseignement de Jésus aujourd’hui doit être reçu précisément dans cette perspective de la fin ; chaque parole du Seigneur mérite ici une attention particulière.
Tout d’abord, l’exhortation à la conversion exige l’abandon des péchés (tous) pour revenir à Dieu, comme nous l’avons vu également dans le cas des habitants de Ninive qui, à l’annonce du prophète Jonas, «se détournaient de leur conduite mauvaise» (Jon 3,10 ; première lecture). L’appel sincère de Jésus à la conversion à la fin des temps fait en réalité écho au désir constant du Dieu pitoyable et miséricordieux qui ne veut jamais que les méchants meurent, mais qu’ils se convertissent et vivent (cf. Ez 18,23 ; 33,11). Et si nous prenons en considération le fait que les Ninivites étaient des non-Israélites, c’est-à-dire des “païens”, nous pouvons comprendre l’amour universel de Dieu pour tous, c’est-à-dire non seulement pour les pécheurs d’Israël, mais aussi pour les autres peuples.
Deuxièmement, il convient de préciser que, comme le montre la première annonce de Jésus, la conversion est intrinsèquement liée au croire en l’Évangile, c’est-à-dire à l’adhésion totale à la bonne nouvelle du salut offert par Dieu en Jésus. Il ne s’agit plus de l’effort humain habituel pour se détourner d’une vie moralement pécheresse, mais d’un courageux dépassement des schémas de pensée habituels pour accueillir la nouvelle vie de la grâce avec et en Jésus. C’est ce qu’indique précisément l’étymologie du mot grec pour conversion “meta-noia” : meta signifie après, au-delà (pour les Grecs anciens, la physique était la réflexion systématique sur la nature et la métaphysique la réflexion sur la réalité qui va au-delà de la nature), et metanoia signifie penser : metanoia signifie penser au-delà. C’est là la dimension décisive de la conversion demandée par Jésus.
Enfin, qu’est-ce que l’Évangile et que signifie y croire ? L’Évangile dont il est question ici est absolument lié à l’expression « l’Évangile de Dieu» mentionnée plus haut dans le verset et signifie la bonne nouvelle de la paix et du salut que Dieu offre désormais en Jésus au temps de l’achèvement et dans son Royaume inauguré avec Jésus. Ainsi, le concept se rapporte également au tout début du livre, où saint Marc l’évangéliste a présenté son oeuvre comme « L’ÉVANGILE de Jésus, Christ, Fils de Dieu » (Mc 1, 1). L’Évangile se réfère donc également à « l’Évangile de Jésus », ce qui permet une double interprétation du mot “de”. D’une part, l’Évangile est la bonne nouvelle concernant Jésus, ce que Jésus proclame et réalise, en paroles et en actes, c’est-à-dire tout ce qui est raconté dans le livre. D’autre part, l’Évangile de Jésus signifie l’Évangile qui est Jésus. Il s’agit de la bonne nouvelle identifiée à la personne de Jésus. Il est l’Évangile. L’invitation à croire à l’Évangile implique donc, d’une part, une adhésion aux messages de Dieu, annoncés et réalisés par Jésus, et d’autre part, elle signifie aussi et surtout croire en Jésus qui est le Christ, le Fils de Dieu. Même si cette clarification semble un peu trop difficile à suivre pour certains, elle est néanmoins nécessaire, car elle est fondamentale pour l’annonce missionnaire, même aujourd’hui. L’essence de la proclamation chrétienne reste l’invitation concise et pressante de Jésus à croire, c’est-à-dire à adhérer avec un coeur et un esprit renouvelés à l’Évangile, qui peut être identifié non pas tant à l’ensemble des principes divinement inspirés qu’à la personne même de Jésus, l’annonciateur, le prédicateur et le réalisateur de l’Évangile de Dieu.
« Venez à ma suite ». Une invitation à suivre Jésus pour une conversion chrétienne concrète et permanente, missionnaire, œcuménique pour le Royaume
Cette conversion liée à l’adhésion à l’Évangile de Jésus est désormais un retour, voire un dépassement des schémas de pensée habituels, un “dépassement” qui plaît à Dieu. Elle a été au centre de la mission de Jésus, puis de ses premiers disciples, et elle restera au centre de la mission de ses fidèles qui sont appelés à toujours travailler à la conversion de tous à Dieu, à commencer par eux-mêmes.
Ce n’est donc pas un hasard si saint Marc l’évangéliste a raconté la vocation des premiers apôtres, Pierre, André, Jacques et Jean, immédiatement après la prédication inaugurale de Jésus. Ce contexte suggère que nous voyons en ces quatre-là les premières réponses positives à l’invitation à se convertir à l’Évangile. Pour une telle conversion, ils ont dû eux aussi dépasser leurs propres schémas de pensée, car il est écrit qu’ils ont quitté tout et tous, y compris “le père”, pour suivre Jésus. Normalement, dans la tradition judaïque, il est recommandé aux enfants de prendre soin de leur père et de leur mère, en particulier dans leur vieillesse, conformément à l’esprit du commandement “honore ton père et ta mère”. Les premiers apôtres, cependant, ont quitté tout leur monde pour suivre Jésus dans sa mission. C’est cependant un chemin à parcourir pour arriver à la pleine conversion de la manière de penser et de voir, même pour ceux qui ont tant de foi dans le Christ, tant d’amour pour le Christ, comme Pierre. Ce dernier reçut donc, pendant qu’il suivait Jésus, un avertissement sévère du Seigneur qui l’appela à nouveau à la conversion, c’est-à-dire à changer [à nouveau] de mentalité : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mc 8,33). Cet avertissement me semble toujours valable pour nous tous, disciples du Christ, à l’heure actuelle. Attention : convertissez-vous et croyez à l’Évangile !
À l’époque de Jésus, les pharisiens et les scribes n’étaient pas des gens immoraux ou mauvais (ils étaient même presque parfaits dans l’observance de la Loi), mais beaucoup n’ont pas fait la conversion requise par Jésus pour le Royaume et l’Évangile, parce qu’ils n’ont pas réussi à dépasser leurs propres schémas de pensée. C’est malheureusement le cas, à l’exception de quelques scribes et pharisiens convertis, parmi lesquels Paul de Tarse, disciple de Gamaliel, dont la fête de la conversion est célébrée ces jours-ci (25/01). Il s’agit d’une conversion très intéressante qui a marqué en même temps la vocation chrétienne et missionnaire de saint Paul, apôtre des nations. Prions pour que ce saint et d’autres grands apôtres et saints missionnaires intercèdent pour nous aujourd’hui et pour notre conversion constante dans l’abandon des péchés, de nos schémas de pensée “habituels”, de tout ce qui ne plaît pas à Dieu, afin de suivre toujours plus Jésus et seulement Jésus le Seigneur, en adhérant de tout cœur à son Évangile et en l’annonçant ensuite, avec des paroles et des actes concrets, à toute créature, selon ce qu’il a demandé à ses disciples.
Ô Seigneur, fais-nous sentir ton cœur tout épris du Royaume de Dieu ainsi que ton invitation cordiale à la conversion à ton Évangile de paix et d’amour. Aide-nous à vivre constamment cette conversion dans nos vies, afin que nous-mêmes, avec Toi et en Toi, devenions l’invitation vivante, en paroles et en actes, à la conversion au Royaume pour ceux qui ne Te connaissent pas. Et dans notre mission d’être des témoins de Toi et de Ton Royaume, aide tes disciples à être toujours plus unis dans Ton amour, en surmontant les divisions existantes dans nos églises et nos communautés. Laisse ton visage briller sur nous, et nous serons sauvés et resplendissants de ta Lumière pour le monde entier. Marie, mère du Christ et mère de ses disciples, priez pour nous ! Amen !