29 Mai 2020

Le Pape nous demande de redécouvrir la mission dans la vie chrétienne ordinaire

Un choc bénéfique pour donner un nouvel élan à l’engagement missionnaire de l’Église. Une semaine après la publication du message du Pape François aux Œuvres pontificales missionnaires, le cardinal Luis Antonio Tagle revient, pour L’Osservatore Romano et Vatican News, sur les points clés de ce document qui a eu un large écho dans l’Église et au-delà. Pour le Préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, il est nécessaire de mettre en pratique ce que le Pape a demandé : redécouvrir l’authentique esprit missionnaire en ne s’appuyant pas sur des pratiques qui, sous couvert de l’efficacité et du succès, s’éloignent du cœur de la mission : l’annonce de la Bonne Nouvelle à tous les peuples.

 

Le message de François aux OPM a eu un retentissement considérable bien au-delà de l’horizon de ceux à qui il était destiné. Une fois de plus, le Pape a souligné combien la mission est au cœur de la vie et de l’identité de l’Église. Qu’est-ce qui vous a particulièrement frappé dans ce message ?

Il y a beaucoup de choses qui m’ont fasciné dans le message du Pape François aux Œuvres Pontificales Missionnaires. Je voudrais en mentionner quelques-unes. Tout d’abord, le Saint-Père avait accepté l’invitation de s’adresser aux directeurs nationaux des OPM lors de leur assemblée générale qui devait avoir lieu en mai de cette année. En raison de la pandémie, l’assemblée a été annulée. Mais au lieu de prendre l’annulation d’une audience comme une occasion de se reposer, le Pape a décidé d’écrire et d’envoyer un message.

Pour moi, ce document contient non seulement les paroles et les intuitions du Pape, mais aussi sa passion pour la mission et son intérêt pour les OPM. En lisant le document, nous devrions écouter son âme, son enthousiasme, ses espoirs et ses préoccupations. Deuxièmement, je crois que même si le message s’adresse spécifiquement aux directeurs nationaux des OPM, le Pape veut que toute l’Église, tout le peuple de Dieu, le lise, l’étudie et le médite. Il servira de guide aux directeurs nationaux. Cependant, il servira également d’instrument pour un examen de conscience de toute l’Église concernant l’esprit et l’engagement missionnaires.

 

Le Pape a souligné avec force que la mission est un don gratuit de l’Esprit Saint, et non le résultat de stratégies qui imitent les « modèles d’efficacité du monde ». Que pensez-vous qu’il faille faire pour éviter ce risque de fonctionnalisme, d’efficacité coûte que coûte des nouveaux projets des OPM ?

Il est important de dire que le Pape François n’est pas contre l’efficacité et les méthodes qui peuvent rendre notre mission fructueuse et transparente. Mais il nous met en garde contre le danger de « mesurer » la mission de l’Église en utilisant uniquement des normes et des résultats prédéterminés par des modèles ou des écoles de gestion, aussi bons et utiles soient-ils. Les outils d’efficacité peuvent aider, mais ils ne doivent jamais remplacer la mission de l’Église. L’organisation de l’Église la plus efficace peut finir par être la moins missionnaire. En affirmant que la mission est un don de l’Esprit Saint, le Pape François nous ramène à quelques vérités fondamentales telles que :

  1. la foi en Dieu est un don de Dieu lui-même
  2. le Royaume de Dieu est inauguré et accompli par Dieu
  3. l’Église est créée par Dieu
  4. l’Église s’éveille à sa mission, proclame l’Évangile et va jusqu’aux extrémités de la terre parce que le Seigneur ressuscité envoie l’Esprit Saint du Père

Aux origines de l’Église et de sa mission, il y a un don de Dieu, pas un projet humain. Jésus vient à notre rencontre comme l’Amour du Père. Mais nous avons un rôle à jouer : prier, discerner le don divin, le recevoir dans la foi et agir sur lui comme le Seigneur le désire. Séparées de cette racine de grâce, les actions de l’Église, et pas seulement les projets des OPM, sont réduites à de simples fonctions et à des schémas d’action précis. Les surprises et les « perturbations » de Dieu sont considérées comme destructrices pour nos projets. Selon moi, pour éviter le risque de fonctionnalisme, nous devons revenir à la source de la vie et de la mission de l’Église : le don de Dieu en Jésus et le Saint-Esprit. Sans cette source de vie, notre dur labeur serait source de fatigue, d’ennui, d’anxiété, de compétition, d’insécurité et de désespoir. Fermement enracinés dans le don du Saint-Esprit, nous pouvons au contraire affronter notre mission et ses souffrances avec joie et espérance.

 

Avec une image très forte, François a exhorté les OPM à « briser les miroirs de la maison ». Les tentations du narcissisme et de l’autosuffisance sont des «maladies» qui inquiètent le Saint-Père. Quel peut-être le «vaccin» contre ce virus qui rend l’Église malade ?

Le narcissisme est le résultat d’une vision purement pragmatique ou fonctionnelle de la mission. La mission devient lentement plus centrée sur moi, sur mon nom, sur mon succès, sur mon accomplissement, sur ma renommée et sur mes fidèles et moins sur la Bonne Nouvelle de la miséricorde de Dieu, sur la compassion de Jésus, sur les mouvements surprenants du Saint-Esprit. Et quand les résultats sont bons, le narcissisme et l’égocentrisme conduisent à se sentir autosuffisant. Mes résultats montrent que je peux compter sur mes capacités.

Avoir besoin de Dieu et d’autres personnes est donc une insulte à mes capacités illimitées. Une telle autosuffisance renforce le narcissisme. Cette dynamique piège une personne ou une institution dans un petit monde d’auto-isolement, qui est le contraire de la mission. C’est ce miroir que le Pape François veut que nous brisions : celui de l’égocentrisme. Nous devrions utiliser du verre transparent qui nous permet de voir au-delà de nous-mêmes, et non un miroir où je ne regarde que mon visage et mon propre environnement. Ou mieux encore, comme le suggère le Pape, ouvrons les fenêtres et les portes, regardons dehors, allons vers la création de Dieu, vers notre voisin ; allons au bout de nos rues, vers les souffrants, vers les perdus, vers les jeunes, vers les blessés. En les regardant, nous espérons nous voir nous aussi. Nous voyons Dieu. Ce sont les véritables miroirs que nous devrions regarder. Le vaccin contre le narcissisme et l’autosuffisance consiste à sortir de soi-même. Le vaccin s’appelle «L’Église sortante». Ce n’est qu’alors que nous nous retrouverons vraiment. Il s’agit de changer les miroirs.

 

Le Pape demande également que l’on pense aux plus pauvres plutôt qu’à l’autopromotion. Il demande d’atteindre les gens «là où ils sont et comment ils sont au milieu de leur vie» et de faire confiance au sensus fidei du peuple de Dieu. Les OPM sont-elles prêtes à se remettre en question pour un nouvel élan dans leur mission fondamentale au service de l’Église ?

En plaçant la mission à la suite de l’action du Saint-Esprit, le pape François nous rappelle ce qu’est l’Église, Temple du Saint-Esprit, le Peuple de Dieu, sujet actif de la mission. Il est rappelé aux OPM et aux autres mouvements axés sur la mission que la mission n’est pas de leur compétence exclusive, et qu’ils ne sont pas les seuls promoteurs de la mission. L’Église, en tant qu’édifice vivant du Saint-Esprit, est missionnaire depuis ses origines historiques. Le Pape rappelle à juste titre les origines des OPM dans l’assistance, la prière et les actes de charité envers les gens simples. Les OPM sont nées grâce à des femmes et des hommes qui ont vécu la sainteté dans leur vie quotidienne ordinaire, une sainteté qui les a encouragés à partager le don de Jésus avec ceux qui en ont besoin. Ils ont utilisé les moyens qui leur ont été donnés par l’Esprit Saint : la prière et les actes de charité.

Le Saint-Père encourage les OPM et l’Église à ramener le sens et la réalisation de la mission dans le quotidien de la vie chrétienne, à faire de la mission un élément simple et sans complication de la vie chrétienne dans les familles, les lieux de travail, les écoles, les entreprises, les bureaux et les paroisses. Je pense qu’un grand défi est de savoir comment aider nos fidèles à reconnaître que la foi est un grand don de Dieu, et non un fardeau. Si nous sommes heureux et enrichis par notre expérience de la foi, alors nous partagerons ce don avec d’autres. La mission devient le partage d’un don, plutôt qu’une obligation à remplir. Nous marchons ensemble avec nos frères et sœurs sur le même chemin appelé mission. La mission et la synodalité se rencontrent.

Une partie importante du message est consacrée aux dons. Pour le Pape, il est nécessaire de surmonter la tentation d’aller à la recherche de «grands donateurs», en transformant les Œuvres Pontificales Missionnaires en ONG axées sur la collecte de fonds. Comment ces exhortations du Pape seront-elles mises en œuvre concrètement ?

Dans la vision cohérente du Pape François, les dons sont considérés comme des offres de charité qui accompagnent la prière pour la mission. Cette perspective fait des dons ou des collectes de fonds une partie du don de la foi et de la mission. Lorsque l’horizon du don est remplacé par celui de l’efficacité dans la gestion d’une organisation, alors les dons deviennent uniquement des fonds ou des ressources à utiliser, plutôt que des signes tangibles d’amour, de prière, de partage des fruits du travail humain. Le danger est que l’argent soit collecté au nom de la mission, mais sans devenir une expression de charité missionnaire de la part du donateur. L’objectif pourrait alors devenir celui de simplement atteindre la somme d’argent souhaitée, plutôt que celui d’éveiller la conscience et la joie des missionnaires. Avec le regard tourné vers un objectif monétaire, la tentation de s’appuyer sur les grands donateurs devient forte.

Je suggère que nous consacrions plus de temps et d’énergie à donner aux gens la possibilité de rencontrer Jésus et son Évangile et d’être missionnaires dans leur vie quotidienne. Ceux qui deviennent des missionnaires engagés et joyeux sont notre meilleure ressource, et non l’argent. Il est également utile de rappeler à nos fidèles que même leurs petits dons, une fois réunis, deviennent une expression tangible de la charité missionnaire universelle du Saint-Père pour les Églises dans le besoin. Aucun cadeau n’est trop petit lorsqu’il est fait pour le bien commun.    

 

Il n’y a pas d’Église sans mission, nous répète François une fois de plus avec ce message fort qui rappelle Evangelii Gaudium. Quel est votre espoir en tant que Préfet de la Congrégation qui a la mission dans son ADN ? 

Le message de François aux directeurs nationaux des OPM reprend les principaux thèmes d’Evangelii Gaudium. Je crois qu’Evangelii Gaudium est la façon originale du Pape François d’articuler l’héritage ecclésiologique et la missiologie de Vatican II pour notre époque. Il exprime également l’influence d’Evangelii Nuntiandi de saint Paul VI sur sa vision missionnaire. Au cours des soixante dernières années, nous avons entendu affirmer haut et fort que l’identité et la raison d’être de l’Église est la mission. La mission de l’Église est de partager le don qu’elle a reçu. Je me souviens de la première lettre de saint Jean quand il dit : «Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie… Nous écrivons cela, afin que notre joie soit parfaite»(I Jean 1, 1-4). J’espère que nous pourrons revenir à ces origines simples et joyeuses de l’Église et de sa mission apostolique.

 

Comment un moment extraordinaire comme celui que nous vivons à cause de la pandémie affecte-t-il tout cela ?

La pandémie de COVID-19 a apporté beaucoup de souffrance et de peur dans la famille humaine. Nous ne pouvons et ne devons pas ignorer son impact sur l’Église et la mission. Il faudra peut-être encore de nombreuses années pour mieux comprendre cet événement dans notre vie. Mais nous pouvons dire dès maintenant que, parmi les incertitudes, l’isolement, le chômage, la perte de revenus et bien d’autres effets de la pandémie, l’Esprit Saint a déversé en abondance les dons de la compassion, de l’héroïsme, de l’amour de la famille, de la prière fervente, de la redécouverte de la Parole de Dieu, de la faim de l’Eucharistie, du retour à un mode de vie simple, du souci de la Création, pour n’en citer que quelques-uns. Alors que l’Église se sentait limitée dans ses activités habituelles, le Saint-Esprit poursuivait sa mission sans aucune limitation. L’Église est appelée à regarder et à s’émerveiller des œuvres surprenantes du Saint-Esprit. Nous apprécions ce don et nous raconterons les histoires de l’action du Saint-Esprit pendant la pandémie encore pendant de nombreuses années à venir.  

Alessandro Gisotti- Cité du Vatican

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