Une réussite “spectaculaire”
La première phrase de l’Évangile d’aujourd’hui reprend la dernière phrase du passage de l’Évangile que nous avons entendu dimanche dernier, par lequel le Christ annonce solennellement l’accomplissement du passage scripturaire du prophète Isaïe concernant l’identité et la mission évangélisatrice de l’Oint de Dieu.
Ces deux textes forment donc une unité de pensée théologique qui exalte l’accomplissement de la Parole de Dieu dans la personne de Jésus et dans l’« aujourd’hui » mystique du salut divin pour l’humanité. Cet accomplissement des Écritures, précédemment proclamé victorieusement, atteint maintenant, et toujours aujourd’hui, son apogée dans le drame du rejet de Jésus par les villageois. Dans ce drame, certains détails « dramatiques » nous éclairent et nous introduisent au mystère de l’adversité et de l’opposition auquel doit faire face le Missionnaire de l’Évangile.
« N’est-ce pas là le fils de Joseph ?».
Cette question des habitants de Nazareth a un goût de dérision voire de mépris venant de leur connaissance du statut inférieur de la famille de Jésus.
L’émerveillement à propos « des paroles de grâce » de Jésus devant ce dédain ou cette incrédulité est quelque peu brusque, mais pas entièrement illogique. Il s’agit de l’argument classique ad personam, utilisé pour discréditer l’interlocuteur lorsqu’il ne peut être contrer sur le contenu de la thèse contestée.
Ici, dans la synagogue de Nazareth, il s’agit de semer la zizanie contre l’auto-révélation de l’identité messianique divine de Jésus. Comme le note, avec grande finesse, le pape François (cf. Méditation matinale dans la chapelle de la Domus Sanctae Marthae, La menace du commérage, lundi 2 septembre 2013), il suffisait à l’un des spectateurs de poser une question similaire pour « s’insinuer le ver de l’envie » et le tour était joué. Les « commérages » se sont immédiatement propagés à la vitesse de la lumière dans toute l’assemblée, et ainsi l’origine surnaturelle de la personne de Jésus a également été mise en cause. D’un point de vue exégétique, il est curieux et en même temps très significatif que cette question résonne de nouveau sur les lèvres des Juifs contre la prétention de Jésus d’être « le pain qui est descendu du ciel » : « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : “Je suis descendu du ciel” ? » (Jn 6, 42).
Je ne suis donc pas surpris de la rébellion des gens de Nazareth contre Jésus, sa personne et sa mission ; ce qui, d’ailleurs, continue d’avoir lieu encore « aujourd’hui », voire de façon de plus en plus intense et terrible à l’époque d’internet avec la culture dite de l’annulation (« The Cancel Culture »).
D’un autre côté, la réaction de Jésus face à cette opposition m’étonne. Il ne cherche pas à plaire à ses interlocuteurs et les calme peut-être par une explication plus acceptable avec quelques mots de captatio benevolentiae. Bien au contraire, le missionnaire consacré de Dieu affronte les murmures avec franchise, révélant encore des vérités qui dérangent, presque comme s’il voulait faire monter à l’extrême la température de l’atmosphère ambiante déjà très chaude. Ici, d’une part, nous voyons qu’en Jésus ce que Dieu demande à son prophète dans les Écritures s’accomplit, comme nous l’avons entendu dans la première lecture : « avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; / je fais de toi un prophète pour les nations. / Toi, mets ta ceinture autour des reins et lève-toi, / tu diras contre eux tout ce que je t’ordonnerai. / Ne tremble pas devant eux ». Dès lors, il ne s’arrête pas devant l’opposition, mais augmente même la dose !
D’autre part, Jésus rappelle le drame d’Israël, peuple élu, mis à l’écart dans l’histoire à cause de son incrédulité, tandis que le peuple « païen » recevait le salut de Dieu par les prophètes Élie et Élisée, son successeur. Les deux histoires mentionnées n’ont cependant aucune intention de créer la polémique contre Israël, mais révèlent simplement la bonté de Dieu qui va bien au-delà des frontières géographiques et nationalistes d’Israël.
Elles font donc allusion à l’universalisme du salut divin en Jésus, dont la vie devient un accomplissement continu, fidèle et abondant des promesses de Dieu. Ainsi, les paroles du psaume responsorial sont en réalité celles du Christ lui-même qui les réalise et les actualise en chaque instant de sa vie et particulièrement dans cet « aujourd’hui » historique et mystique de la synagogue de Nazareth : « [Mon Dieu] Ma bouche annonce tout le jour / tes actes de justice et de salut. / Mon Dieu, tu m’as instruit dès ma jeunesse, / jusqu’à présent, j’ai proclamé tes merveilles ».
Oui, « encore aujourd’hui », Il proclame les merveilles de l’amour et de la fidélité de Dieu pour tous les peuples. Et avec Lui et en Lui, ses disciples-apôtres d’aujourd’hui sont appelés à raconter les mirabilia Dei « les merveilles de Dieu » avec parresia (liberté de parole), qu’on le veuille ou non, comme au temps de Jésus et des premiers chrétiens.
« Le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline, […] pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin ».
Après le discours presque provocateur de Jésus devant les villageois incrédules, l’indignation de « tous dans la synagogue » et puis leur tentative de le tuer était prévisible. Toutefois, le renversement de situation se produit à la fin avec une phrase qui sonne quelque peu énigmatique avec un sens très vague, presque suspendu dans le vide : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin» ou littéralement « s’en alla ».
Et où allait-il ?
Et comment a-t-il pu s’en aller au milieu de ceux qui, dans leur colère, voulaient le jeter dans le précipice ?
On ne le sait pas. Cependant, précisément avec ce flou, un mystère important s’ouvre dans la vie de Jésus, l’oint consacré que Dieu a envoyé pour proclamer l’Évangile et proclamer l’année de la grâce divine. Il s’agit du mystère du rejet du Missionnaire de l’Évangile qui, cependant, reçoit toujours le soutien de Dieu dans les moments critiques. Il est intéressant de rappeler ici un épisode similaire de la vie de Jésus, raconté dans l’Évangile de Jean : « De nouveau, des Juifs prirent des pierres pour lapider Jésus. [Jésus]. […] Eux cherchaient de nouveau à l’arrêter, mais il échappa à leurs mains » (Jn 10,31.39). Cela se passe ainsi, simplement parce que Son temps n’était pas encore venu.
À la lumière de cela, l’expression vague « est parti » ou « allait son chemin » à la fin cet épisode à Nazareth acquiert un sens théologique profond : Jésus commence ici, en effet, il continue le chemin déjà tracé par le Père pour lui et pour sa mission, c’est-à-dire celui qui le conduira à Jérusalem dans le temps établi par Dieu, ce chemin de Jésus qui apporte la bonne nouvelle du salut de Dieu passe encore par Nazareth, malgré le rejet de ceux de la synagogue. D’après ce qu’a noté l’évangéliste Marc, même si « là il ne pouvait accomplir aucun miracle » à cause de leur incrédulité, Jésus de toute façon « il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains » (cf. Mc 6,5).
Quiconque croit en Jésus obtient la grâce divine, même s’il vit dans un milieu où tous les autres le rejettent. En effet, là où le péché abonde, la grâce surabonde, comme nous l’enseigne l’apôtre Paul, qui a également eu une expérience similaire à Athènes : après sa prédication évangélique à l’Aréopage, tout le monde s’est moqué de lui, mais à la fin quand même « quelques hommes s’attachèrent à lui et devinrent croyants » (cf. Ac 17,34). Par conséquent, soutenus par la grâce divine, les fidèles missionnaires de Dieu comme Jésus poursuivent le chemin de la mission avec détermination au milieu de l’adversité, du rejet et de l’échec, gardant toujours leur cœur plein de charité divine pour tous, y compris envers ceux qui entravent et rejettent l’Évangile. (Ce n’est pas un hasard si dans la prière, communément appelée « collecte », avant la Liturgie de la Parole d’aujourd’hui, nous avons justement demandé à Dieu la grâce d’aimer tous les hommes avec la charité du Christ, cette sublime charité qui « supporte tout, fait confiance en tout, espère tout, endure tout » [Deuxième lecture, 1Co 13,7]).
Sancta Maria Tremoris
C’est le nom de la petite chapelle en latin, construite près du « bord de la montagne » de Nazareth. Son nom, traduit « Sainte Marie du Tremblement », fait allusion au fait légendaire que Marie, mère de Jésus, était là, en ce lieu, suivant avec peur et angoisse le drame de son fils porté par les Nazaréens indignés sur ce bord. Il s’agit d’une légende, mais pas entièrement trompeuse, car elle a suivi Jésus jusqu’au pied de la croix. En cet instant à Nazareth, à cause de la « foule devenue folle », Marie ne pouvait que rester à distance du Fils, mais cela intensifie précisément son expérience pour Lui dans un moment critique ; ils sont physiquement distants, mais spirituellement unis.
Cette image évocatrice de Marie devient emblématique de son attention et de son souci constants pour son Fils sur le chemin de la mission, en particulier dans les moments dramatiques. De même que le cœur maternel de Marie prenait soin de Jésus, il en sera de même pour ses disciples qui continuent la mission de leur Maître. Ils peuvent être sûrs de la proximité bienveillante de Marie dans leur cheminement missionnaire, en particulier lorsqu’ils doivent affronter les différentes « tragédies » de la vie.
Puissent-ils se souvenir de cet amour et de ce soutien de Notre Bonne Mère et se tourner vers elle pour obtenir de l’aide et de l’intercession dans l’adversité.
Puissent-ils toujours savoir élever cette invocation brève mais efficace, par laquelle le pape François conclut son Message pour la Journée missionnaire mondiale 2022 : Marie, Reine des missions, priez pour nous !
Points utiles
Pape François, Message pour la Journée Mondiale des Missions 2022, « Vous serez mes témoins » [Ac 1,8]
« Par conséquent, l’exemple de la vie chrétienne et l’annonce du Christ vont ensemble dans l’évangélisation. L’un sert l’autre. Ce sont les deux poumons avec lesquels toute communauté doit respirer pour être missionnaire. Ce témoignage complet, cohérent et joyeux du Christ sera certainement la force d’attraction pour la croissance de l’Église également au troisième millénaire. J’exhorte donc chacun à retrouver le courage, la franchise, cette parrhésie des premiers chrétiens, pour témoigner du Christ en paroles et en actes, dans tous les domaines de la vie ».
Pape François, Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium, no.275
« Certaines personnes ne se donnent pas à la mission, car elles croient que rien ne peut changer et pour elles il est alors inutile de fournir des efforts. Elles pensent ceci : “Pourquoi devrais-je me priver de mon confort et de mes plaisirs si je ne vois aucun résultat important ?”. Avec cette mentalité il devient impossible d’être missionnaires. Cette attitude est précisément une mauvaise excuse pour rester enfermés dans le confort, la paresse, la tristesse de l’insatisfaction, le vide égoïste. Il s’agit d’une attitude autodestructrice, car « l’homme ne peut pas vivre sans espérance : sa vie serait vouée à l’insignifiance et deviendrait insupportable ». Si nous pensons que les choses ne vont pas changer, souvenons-nous que Jésus Christ a vaincu le péché et la mort et qu’il est plein de puissance. Jésus Christ vit vraiment. Autrement, « si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message » (1Co 15, 14). L’Évangile nous raconte que les premiers disciples allèrent prêcher, « le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole » (Mc 16, 20). Cela s’accomplit aussi de nos jours. Il nous invite à le connaître, à vivre avec lui. Le Christ ressuscité et glorieux est la source profonde de notre espérance, et son aide ne nous manquera pas dans l’accomplissement de la mission qu’il nous confie ».
Pape François, Angélus, Place Saint-Pierre, Dimanche 23 janvier 2022
« Rappelons-nous : la Parole de Dieu transforme une journée quelconque dans l’aujourd’hui où Dieu nous parle. Alors, prenons en main l’Evangile, chaque jour un petit passage à lire et à relire. Emportez l’Evangile dans la poche ou dans votre sac, pour le lire en voyage, à tout moment, et le lire dans le calme. Avec le temps, vous découvrirez que ces paroles sont faites exprès pour nous, pour notre vie. Elles nous aideront à accueillir chaque journée avec un regard meilleur, plus serein, parce que, quand l’Evangile entre dans l’aujourd’hui, il le remplit de Dieu. Je voudrais vous faire une proposition. Au cours des dimanches de cette année liturgique est proclamé l’Evangile de Luc, l’Evangile de la miséricorde. Pourquoi ne pas le lire aussi personnellement, en entier, un petit passage chaque jour ? Un petit passage. Familiarisons-nous avec l’Evangile, il nous apportera la nouveauté et la joie de Dieu ! »