Chaque dimanche, le Père Anh Nhue Nguyen, secrétaire général à Rome de l’Union Pontificale Missionnaire, livre à notre réflexion son commentaire missionnaire biblique.
4 février 2024, 5e dimanche du temps ordinaire, année B
Jb 7,1-4.6-7; Ps 146; 1Co 9,16-19.22-23; Mc 1,29-39
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, l’évangéliste Marc continue à nous raconter, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, les premières choses, c’est-à-dire les choses fondamentales que Jésus fait au début de sa mission évangélisatrice. En effet, après la première annonce et la première action – enseignement avec autorité – que nous avons vues dans les dimanches précédents, nous suivons maintenant Jésus dans sa première journée complète d’activité, signalée précisément par l’évangéliste avec les deux indications temporelles : « le soir venu » et ensuite «l’aube». Il s’agit des deux expressions qui, dans la tradition biblico-judaïque, marquent l’arc d’une journée, comme nous le voyons dans les premières pages de la Bible dans la manière de compter les jours de la création : « Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour » (Gn 1,5) ; « Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour »
(Gn 1,8), et ainsi de suite…
Dans cette perspective, ce que Jésus a fait et dit dans le passage de l’Évangile d’aujourd’hui acquiert également une valeur fortement emblématique à retenir. Nous voyons ici les actions et les paroles de Jésus au cours d’une journée typique de sa mission ; en les contemplant, nous remarquons trois aspects fondamentaux qui devraient peut-être aussi être présents au cours d’une journée typique de la mission des disciples de Jésus : guérir, prier et sortir constamment pour prêcher l’Evangile.
1. Guérir
Il y a d’abord la guérison de jour, typique de l’activité de Jésus à Capharnaüm : « Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ». Les guérisons opérées par Jésus ici et ailleurs (cf. Mc 3,10-11) concernent donc la santé non seulement du corps, comme dans le cas exemplaire de la belle-mère de Pierre, mais aussi de l’âme, comme dans le cas du possédé de la synagogue (entendu il y a une semaine). Elles indiquent la délivrance de l’homme des maux de toutes sortes : physiques (des maladies du corps) et spirituels (des péchés et de la domination du Malin, c’est-à-dire des afflictions de l’âme et de l’esprit). De plus, en Jésus et avec Jésus, la guérison va de pair avec l’annonce et l’enseignement du Royaume de Dieu, comme nous l’avons vu dans les passages de l’Évangile des dimanches précédents. Annoncer-enseigner-guérir deviennent les trois actions fondamentales de Jésus dans ses activités publiques, où les guérisons concrètes et visibles prouvent l’autorité de l’enseignement, ajoutent la puissance de la proclamation et marquent l’irruption effective du Royaume dans les réalités humaines grises.
Il faut souligner que les mêmes actions de Jésus seront exigées de ses premiers disciples-apôtres, lorsqu’il les a constitués « pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle avec le pouvoir d’expulser les démons » (Mc 3,14-15). Ainsi, sur l’ordre de Jésus, « Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient » (Mc 6,12-13). Il est significatif que, même après sa résurrection, le Seigneur Jésus ait envoyé ses disciples prêcher l’Évangile à toute créature, en soulignant les signes qui accompagneraient les croyants : « en mon nom, ils expulseront les démons, […] ils imposeront les mains aux malades, et les malades s’en trouveront bien » (Mc 16,17-18).
Ainsi, les œuvres typiques de Jésus, en particulier la guérison des maladies physiques et spirituelles, seront poursuivies par ses disciples, envoyés par lui pour la même mission d’évangélisation dans le monde. Nous ne devons jamais oublier cette vocation sacrée de nous tous, chrétiens, disciples du Christ, d’opérer également des guérisons parmi les gens, tout comme le Christ l’a fait, et cela est particulièrement vrai dans le monde d’aujourd’hui, plein de blessures et de souffrances, où l’Église, la communauté des croyants en Christ, devient une sorte d’”hôpital de campagne”, pour utiliser une expression très juste du pape François. D’autre part, nous devons toujours nous rappeler que notre guérison s’accomplira toujours avec et par Jésus, c’est-à-dire “en son nom”, dans le pouvoir qu’il a transmis à ses disciples qui croient. L’évangéliste Marc lui-même souligne ce point dans la dernière phrase de l’Évangile : « Quant à eux, ils s’en allèrent proclamer partout l’Évangile. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient » (Mc 16,20). Tel est donc notre appel : demeurer en Jésus pour le laisser agir en nous et guérir les gens des diverses afflictions du corps et de l’esprit, dans l’aujourd’hui permanent de sa mission.
2. Prier
La deuxième action de Jésus dans sa journée typique de mission est de prier, et il le fait longtemps et tôt le matin, comme le rapporte saint Marc : « Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait ». Il faut souligner tout de suite que Jésus a consacré un temps prolongé à la prière lors de la journée typique de ses activités missionnaires. Cela doit également s’appliquer à tous ses disciples-missionnaires de toutes les générations, ce doit être l’icône évangélique à graver dans leur cœur et l’inspiration divine à suivre dans leur vie missionnaire chrétienne (surtout les jours où l’on se sent fatigué et peu motivé à se lever avant l’aube pour prier !) En effet, nous voyons souvent Jésus en prière, comme le racontent tous les Évangiles, en particulier aux moments clés de sa mission. L’action de prier est son souffle pour et dans la mission ; bien plus, c’est son premier travail missionnaire. À tel point que lui-même, envoyant plus tard ses disciples en mission, leur recommandera de prier le Père de la moisson.
Pour en revenir à notre épisode, nous sommes curieux de savoir comment Jésus a prié dans ce moment de solitude et ce qu’il a prié. En attendant, dans le contexte de l’année consacrée à la prière en préparation du Jubilé sur l’ordre du pape François, nous devons nous rappeler que prier signifie converser avec Dieu. En effet, c’est entrer et être en communion avec Dieu, dans laquelle nous ne parlons pas seulement à Dieu mais aussi et surtout nous l’écoutons comme des enfants en relation avec le Père. C’est ce qui s’est passé lorsque Jésus a prié. Bien qu’il s’agisse d’un mystère, nous pouvons imaginer qu’au moment de la prière, Jésus a écouté la voix de Dieu le Père dans son cœur et a conversé avec lui, probablement avec les paroles divines des Psaumes (comme il l’a fait sur la croix dans les derniers moments de sa vie-mission). Ainsi, par la prière, Jésus, Fils de l’Homme et Fils de Dieu, a cherché à toujours connaître et faire la volonté du Père, celui qui l’a envoyé, dans diverses situations concrètes. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec Jésus ce jour-là : après une longue prière face à face avec Dieu, il a déclaré aux premiers disciples qui le cherchaient (peut-être pour lui demander de retourner “chez lui” à Capharnaüm) l’essence de sa mission évangélisatrice : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti » .
3. « Allons ailleurs… ». Toujours en sortie pour prêcher l’Evangile
La phrase citée ci-dessus, dans le contexte de la journée type de la mission de Jésus, devient le manifeste de son activité missionnaire. Elle révèle le caractère fondamental de son service pour le Royaume de Dieu : toujours aller au-delà, toujours aller à la rencontre de tous pour leur transmettre l’Évangile de Dieu. Jésus ne s’est pas arrêté seulement à Capharnaüm, peut-être pour jouir de ses propres succès, mais il a voulu, pour lui-même et pour ses premiers disciples, aller vers les nouvelles réalités humaines : « Allons ailleurs… ». « Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons », comme le résume saint Marc, qui entend par “toute la Galilée” tout le pays des Gentils. Dans le même ordre d’idées, Jésus ordonne plus tard aux disciples « passons sur l’autre rive » du lac de Génésareth (Mc 4,35) pour atteindre la région païenne de la Décapole, afin d’y semer la graine de l’Évangile. « Car c’est pour cela que je suis sorti », ou littéralement «pour cela que je suis sorti !», de la maison de Capharnaüm, mais aussi mystiquement du sein du Père pour prêcher l’Évangile au monde entier.
Ce que nous voyons en Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui sera peut-être mis en pratique par ses disciples aujourd’hui. C’est en suivant les pas et les ordres de leur Seigneur et Maître que ses disciples sachent toujours sortir, au-delà de toutes les frontières, pour prêcher l’Évangile avec Jésus, en priant et en accomplissant des œuvres de guérison en son nom au milieu des personnes souffrantes. Souvenons-nous toujours de l’invitation de Jésus à ses disciples à devenir ses témoins jusqu’à la fin du monde (Actes 1, 8) et gardons également à l’esprit le précieux enseignement du Pape à cet égard :
L’indication « jusqu’aux extrémités de la terre » interpellera les disciples de Jésus à toutes les époques et les poussera à aller au-delà des lieux habituels pour lui rendre témoignage. Malgré toutes les facilités dues aux progrès de la modernité, il existe encore aujourd’hui des zones géographiques où les missionnaires témoins du Christ ne sont pas encore arrivés avec la Bonne Nouvelle de son amour. D’autre part, aucune réalité humaine ne devrait être étrangère à l’attention des disciples du Christ dans leur mission. L’Église du Christ a été, est et sera toujours “en sortie” vers de nouveaux horizons géographiques, sociaux et existentiels, vers des lieux et des situations humaines “limites”, afin de témoigner du Christ et de son amour à tous les hommes et toutes les femmes de tout peuple, de toute culture et de tout statut social. En ce sens, la mission sera toujours aussi missio ad gentes, comme nous l’a enseigné le Concile Vatican II, car l’Église devra toujours aller au-delà, au-delà de ses propres limites, pour témoigner de l’amour du Christ à tous. (Message pour la Journée Mondiale des Missions 2022)