Après s’être imprégné du tableau, il s’agit d’abord de lire le passage d’évangile dont s’inspire l’artiste (Luc 24, 13-34), repérer les personnages, les mouvements, les dialogues, les lieux sans interpréter. Juste en lisant.
On peut ensuite repérer les différences, les décalages, ce que l’artiste a décidé de ce qu’il met en avant, ce qu’il occulte… Que signifient ses choix ?
Attardons-nous sur les lignes de force et les formes…
L’absence totale de décor qui rend le lieu anonyme et par là universel, l’actualisation de certains détails (vêtements des disciples, verres de vin) et l’ouverture de la scène sur le devant sont autant de signes qui nous invitent aujourd’hui à venir prendre place à cette table.
C’est la façon d’Arcabas de nous faire prendre conscience que ce partage du pain et du vin à Emmaüs, au soir de la Résurrection du Christ nous concerne étroitement. Nous sommes les disciples d’Emmaüs !
Entre Ses mains, un espace sacré
Dans l’image ci-dessus, la règle du tiers révèle que le centre du tableau est occupé par les mains ouvertes du Christ.
Il vient de prononcer la prière de bénédiction sur le pain rompu et par le geste de l’imposition des mains, signe de la consécration, il a demandé au Père d’envoyer l’Esprit Saint sur le pain et le vin pour qu’ils deviennent son corps et son sang.
Ses mains forment comme une conque au-dessus d’un espace très lumineux, suggérant que cet espace mis à part est sacré.
Le pain est corps du Christ
A droite et à gauche, les avant-bras des deux disciples tracent deux lignes inclinées en V qui guident notre regard vers le pain rompu.
Ce pain est la seule source de lumière du tableau. Cette lumière incréée, très blanche, unit le Christ et le pain rompu dans la même aura car désormais le pain est corps du Christ.
Elle éclaire aussi, mais plus doucement les visages des deux disciples : l’Eucharistie sanctifie ceux qui la reçoivent.
Les disciples participent à la gloire du Christ
Les trois têtes sont dans le tiers supérieur du tableau tandis que sur la table, le pain, la coupe de fruits, la cruche, la salière et les couverts occupent le tiers inférieur de la composition.
Le Christ ressuscité appartient désormais à la sphère céleste. Il est entré dans Sa Gloire, c’est-à-dire que le Père l’a ressuscité et invité à siéger à sa droite.
Mais le Christ l’avait dit à ses apôtres avant de monter à Jérusalem et de mourir sur la croix :
« A nouveau je viendrai et je vous prendrai avec moi afin que là où je suis, vous aussi vous soyez. » (Jn 14, 3)
Les deux disciples qui, ce soir-là, partagent la table du Christ, participent déjà à la gloire du Christ. Leurs têtes se situent, elles aussi, dans la partie supérieure de la toile.
Prenons part au banquet du Royaume !
Les aliments qui composent le repas (pain, vin, figues, sel) ne sont pas magnifiés. Ce sont ceux que nous trouvons sur nos tables d’été. Cela signifie que c’est avec tout ce qui compose notre vie quotidienne que Dieu nous invite à prendre part au banquet du Royaume, c’est-à-dire à entrer dans la vie éternelle et à vivre en présence de Dieu.
Chaque jour, il désire que nous répondions à son amour en veillant fidèlement, dans la mesure de nos moyens mais sans nous dérober, sur nos frères et en respectant sa création qui nous donne ce pain, ce vin et ces fruits à partager.
La coupe de figues est une allusion au figuier desséché qui, dans l’évangile de Marc (Mc 11, 12-25), ne donne pas de fruits. Le Christ attend des hommes qu’ils se comportent comme des justes, qu’ils vivent de sa Parole et la mettent en pratique.
Nous devons porter du fruit en abondance de façon à ce que notre coupe soit pleine : des fruits d’amour, de justice, de pardon, de joie et de paix… pour que la parole de Dieu soit portée aux hommes.
L’Eucharistie reçue dans la foi nous en donne la force et c’est ainsi que nous serons véritablement enfants de Dieu. La présence de cette coupe de figues nous dit la confiance et la patience de Dieu.
Une aura d’or lumineux entoure la tête du Christ…
Et s’ouvre aux deux disciples pour « les prendre sous son ombre ». Elle est signe de sacralité : le Christ attablé à cette modeste table d’auberge, est le Fils de Dieu mort et ressuscité pour le Salut du monde.
Il a vaincu la mort, l’ombre noire de l’arrière-plan est en passe d’être effacée. Les disciples, eux, participent déjà à la vie de Dieu.
Deux croix d’or derrière le Christ symbolisent la présence du Père et de l’Esprit toujours présents auprès du Fils dans sa mission dans notre monde.
Reconnaissance et interrogation
L’attitude des disciples et leur regard révèlent que l’un et l’autre ne sont pas au même niveau de reconnaissance du Christ qui consacre le pain et le vin comme au soir du Jeudi Saint.
Celui qui est placé à la droite du Christ le regarde avec ardeur de ses deux yeux. Il a le dos droit et sa main esquisse un mouvement vers le Christ. Sa bouche s’entrouvre comme pour prononcer un nom. Il a déjà identifié dans ce voyageur énigmatique le « prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple » (Lc 24, 19).
La position de son compagnon, le coude sur la table, la tête appuyée sur sa main traduit une interrogation qui n’a pas encore trouvé sa réponse. Son regard, bien que tourné vers Jésus, est encore celui de l’interrogation.
Un Christ tout en retenue
Les yeux du Christ se portent sur le pain rompu, mais ses mains ouvertes et l’expression paisible de son visage, illuminé par la lumière incréée qui irradie du pain consacré, nous font comprendre qu’il est en totale union avec le Père et l’Esprit.
Déjà, il a quitté les deux hommes dont il a ouvert l’intelligence aux Écritures sur la route d’Emmaüs, et le cœur à la foi dans cette première célébration d’une Eucharistie.
Désormais il se retire pour que les hommes répondent librement à son désir. L’expression de son visage est toute d’intériorité et de retenue. Ses yeux sont baissés sur le pain qui sera désormais sa présence auprès des hommes.
Le vêtement bleu du Christ et la table ne font qu’un. Il est lui-même, à la fois, la victime et l’autel, le pain et la table qui le soutient.
N’hésitez pas à partager ce que vous retenez de cette œuvre avec vos proches. L’art nous fait du bien !
Pour compléter cette lecture spirituelle, vous pouvez retrouver l’article « Comprendre le tableau d’Arcabas » dans notre livret d’animation de la Semaine missionnaire mondiale.
Diaporama pédagogique de cette proposition de lecture spirituelle >>
Jean-Marie Pirot, plus connu sous le nom d’Arcabas (1926-2018) est un peintre et sculpteur français reconnu en France et à l’étranger entre autres pour son importante production dans le domaine de l’art sacré contemporain.
Merci à Missions et Migrations !