Le temps passe si vite et nous voici arrivés à un nouveau Carême de notre vie. C’est toujours « ce temps de grâce », comme nous le rappelle l’Église dans la liturgie (2e Préface du Carême).
En effet, comme le pape François l’a rappelé dans son message de Carême pour cette année, « le Carême est un temps propice de renouveau personnel et communautaire qui nous conduit à la Pâques de Jésus-Christ mort et ressuscité ».
Donc ce Carême doit être vécu de nouveau, voire « célébré » comme un « signe sacramentel de notre conversion » (Prière d’ouverture en italien) pour un renouveau véritable et sincère de la foi et de la vie chrétienne, dont la dimension missionnaire est constitutive et donc à (re)découvrir et (re)vivre.
Ce n’est pas un hasard si nous avons demandé à Dieu dans la Prière d’ouverture de nous aider, nous tous ses fidèles, à « progresser dans la connaissance de Jésus Christ et de nous ouvrir à sa lumière par une vie de plus en plus fidèle ». Et la Parole de Dieu de ce premier dimanche de Carême nous offre en effet quelques indications importantes pour mieux connaître le Christ et sa vraie mission, et par conséquent pour mieux vivre notre vocation de chrétiens, c’est-à-dire de « disciples du Christ ».
Le chemin du Christ « conduit dans/par l’Esprit»
Je voudrais appeler le passage de l’Évangile d’aujourd’hui non pas « Les tentations de Jésus », mais « La marche du Christ avec l’Esprit dans le désert ». C’est ce qu’apparemment l’évangéliste Luc a voulu souligner au début du récit, ainsi que tout au long de son évangile. L’Esprit Saint est intimement lié à Jésus dès sa conception et l’accompagne à chaque étape de la mission terrestre. Après tout, l’introduction liturgique classique du passage d’aujourd’hui, « En ce temps-là », fait référence au moment qui suit le baptême de Jésus dans le Jourdain, lorsque le Saint-Esprit est descendu à nouveau sur Jésus (ceci est rendu explicite dans la version française de l’Évangile : En ce temps-là, après son baptême).
Cet accent mis sur l’accompagnement de l’Esprit Saint est également important pour le cheminement de tout chrétien, disciple du Christ, particulièrement en cette période de Carême. Que le Carême ne soit jamais seulement une période de pieuses pratiques de pénitence et de bonnes œuvres éthiques et/ou sociales, mais qu’il soit aussi et surtout un renouveau de vie dans l’Esprit.
En d’autres termes, ne pensez pas tout de suite aux bonnes intentions (pour ensuite s’y perdre à la fin) comme but pour vivre fructueusement les quarante jours à venir, mais à votre relation personnelle avec l’Esprit de Dieu que chacun a reçu au moment du baptême, de la confirmation et, pour certains, au moment de l’ordination diaconale, sacerdotale, voire épiscopale.
Il est temps de nous laisser « guider par l’Esprit », encore et encore plus intensément et plus intimement, à l’image du Christ dans sa vie et sa mission, notamment dans ses quarante jours au désert. Ce sera donc un moment joyeux avec le Christ dans l’Esprit, même si vous devrez affronter tout ce qui se passe en chemin, y compris la fatigue, la faim et la soif, et les tentations. Ce sera donc le temps de la grâce, de la purification, de la réorganisation de la vie et de la mission chrétiennes selon les préceptes et les inspirations de l’Esprit, à la suite des paroles et des actions exemplaires du Christ.
À cet égard, les exhortations sincères de l’apôtre saint Paul aux premiers chrétiens sont toujours d’actualité : « N’éteignez pas l’Esprit » (1Thes 5,19), et « N’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau en vue du jour de votre délivrance » (Eph 4,30). De même, le rappel récent du Pape François dans son Message pour la Journée Mondiale des Missions 2022 sera à garder à l’esprit tout au long de ce Carême:
Par conséquent, tout disciple missionnaire du Christ est appelé à reconnaître l’importance fondamentale de l’action de l’Esprit, à vivre avec lui dans la vie quotidienne et recevoir sans cesse de sa part force et inspiration. Plus encore, au moment où nous nous sentons fatigués, démotivés, perdus, rappelons-nous de nous tourner vers l’Esprit Saint dans la prière, qui – je tiens à le souligner une fois de plus – a un rôle fondamental dans la vie missionnaire, pour nous laisser restaurer et fortifier par lui, source divine inépuisable des énergies nouvelles et de la joie de partager la vie du Christ avec les autres.
La prière mentionnée ici doit être comprise dans le sens global qu’elle embrasse les actions d’invoquer l’Esprit, d’écouter la Parole de Dieu dans l’Esprit, de méditer et de tout discerner avec l’Esprit. Toujours et partout, surtout au moment de l’épreuve et de la tentation.
Les Tentations sur le chemin de la mission de Jésus
Même si les évangélistes Luc et Matthieu ne nous parlent que de trois tentations de Jésus dans le désert, qui n’arrivent ensuite qu’au bout des quarante jours, force est de constater que le nombre et le moment sont plutôt représentatifs. A tel point que l’Evangile de Marc insiste sur l’essentiel : « dans le désert, il [Jésus] resta quarante jours, tenté par Satan » (Mc 1,13). Ceci est repris et souligné encore plus par Luc avec l’affirmation initiale (« pendant quarante jours, il [Jésus] fut tenté par le diable ») et le dernier (« Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé »).
Ainsi, suite à l’inauguration de ses activités publiques avec le baptême dans le Jourdain, Jésus devra affronter la réalité des épreuves-tentations tout au long du parcours de sa mission, dont l’image emblématique est cette période dans le désert. Il s’agit de l’expérience commune de ceux qui veulent servir Dieu, en accomplissant la mission divine, comme on le voit déjà chez Abraham, père de la foi, et aussi chez Adam le premier homme. Ce n’est donc pas un hasard si le sage Siracide enseigne (non sans l’inspiration de l’Esprit) : «Mon fils, si tu viens te mettre au service du Seigneur, / prépare-toi à subir l’épreuve ; / fais-toi un cœur droit, et tiens bon ; / ne t’agite pas à l’heure de l’adversité» (Sir 2,1-2).
Qu’on le veuille ou non, dans la vie et la mission de chaque disciple de Dieu, il y a des épreuves et des tentations qui viennent de la « chair » (la nature humaine transitoire), du « monde » (l’environnement opposé à Dieu) et du Malin (cf. 1Jn 2,16-17; 5,19). Tout cela pour détourner le chemin de l’homme de celui tracé par Dieu pour lui et, en définitive, pour séparer l’homme de son Dieu.
Dans cette perspective, Jésus lui-même a également subi diverses tentations dans l’accomplissement de la mission divine confiée, non seulement d’être solidaire de tout disciple de Dieu, mais aussi de clarifier à tous la vraie nature de sa mission de Fils de Dieu. A cet égard, le Directoire sur l’homélie nous l’explique de façon très claire :
Les tentations auxquelles Jésus a été soumis illustrent la lutte qu’il dû mener contre une compréhension erronée de sa mission messianique. Le diable l’incite vivement à se présenter comme un Messie qui exhibe ses propres pouvoirs divins: « Si tu es le Fils de Dieu… », l’exhorte le tentateur.
On trouve ici la prophétie du combat décisif que Jésus devra affronter sur la croix, quand il entendra ces paroles de dérision: « Sauve-toi toi-même en descendant de la croix ! ». Face aux tentations de Satan, Jésus ne cède pas, et il ne descendra pas non plus de la croix. En agissant ainsi, Jésus donne le témoignage qu’il a voulu pénétrer dans le désert de l’existence humaine et qu’il a refusé de se servir de son pouvoir divin à son propre avantage. Il accompagne vraiment notre pèlerinage sur la terre, et il nous révèle le vrai pouvoir de Dieu, qui est celui de nous aimer « jusqu’au bout » (Jn 13,1). (n.61)
Ainsi, entrant dans les détails mais sans se perdre dans les diverses interprétations possibles, refusant de transformer la pierre en pain sous la suggestion du diable, Jésus souligne le but premier de sa mission évangélisatrice de prendre soin de la faim de la Parole de Dieu parmi Hommes.
Il fera certes le miracle de la multiplication des pains pour faire manger, mais ce ne sera que le signe du don du vrai Pain du ciel qui est lui-même, la Parole de Dieu incarnée : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4). Refusant de se prosterner devant le diable pour prendre le pouvoir (politique) et la gloire des royaumes terrestres, Jésus réaffirme le seul vrai Dieu comme centre de la vie, du culte et de l’adoration, et donc de sa mission. En effet, à l’heure de la Passion, il répétera : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jn 18,36).
Enfin, refusant de se jeter du haut du Temple de Jérusalem pour démontrer de façon spectaculaire sa nature messianique devant le peuple et l’autorité religieuse, Jésus dit non à la tentative fréquente (voire, je dirais, pérenne) d’abuser de la Parole de Dieu pour son propre gain, pour plier la volonté de Dieu à la sienne, pour appliquer ses Paroles selon la vision humaine.
Elle contraste ainsi avec l’attitude arrogante et infidèle du Peuple de Dieu à Massa et Meriba dans le désert, « où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit » (Sal 95 [94],9). C’est pourquoi Jésus refusera plus tard de faire le « signe spécial » à la demande des autorités religieuses pour prouver sa mission messianique. Au lieu de cela, il remettra tout entre les mains de Dieu qui révèle et prouve son Messie au moment et dans la manière exclusivement selon son plan divin.
La victoire de la foi et de la fidélité à Dieu
Ainsi, Jésus a souffert et a vaincu les tentations ; « il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces » (1Pi 2,21) dans le cheminement de foi de chacun de ses disciples, appelé à poursuivre sa mission divine d’annoncer l’Évangile de Dieu dans le monde.
A cet égard, il convient de rappeler l’enseignement du catéchisme, qui met l’accent sur le sens spirituel fondamental de l’événement :
Les Évangélistes indiquent le sens salvifique de cet événement mystérieux [de la tentation de Jésus]. Jésus est le nouvel Adam, resté fidèle là où le premier a succombé à la tentation. Jésus accomplit parfaitement la vocation d’Israël : contrairement à ceux qui provoquèrent jadis Dieu pendant quarante ans au désert (cf. Ps 95,10), le Christ se révèle comme le Serviteur de Dieu totalement obéissant à la volonté divine. En cela, Jésus est vainqueur du diable : il a “ ligoté l’homme fort “ pour lui reprendre son butin (Mc 3,27). La victoire de Jésus sur le tentateur au désert anticipe la victoire de la passion, obéissance suprême de son amour filial du Père (nr. 539).
Les quarante jours de Carême seront alors aussi le temps propice au renouvellement de la foi et de la fidélité en Dieu et en son Fils, qui est « l’arme gagnante » des « enfants de Dieu » contre les tentations du mal, tout comme Jésus. Cette attitude de foi/fidélité absolue vient avant tout de la gratitude pour les bienfaits que Dieu a accordés dans la vie de chaque croyant, comme on le voit dans la profession de foi de chaque membre du peuple d’Israël en première lecture.
En effet, cela vient de la gratitude pour le plus grand don de Dieu pour nous : Jésus-Christ son Fils, qui est mort et ressuscité dans l’amour pour le salut du monde. Avec lui et en lui, sous la conduite de l’Esprit Saint, nous nous engageons dans le cheminement du Carême de cette année pour vivre avec un esprit renouvelé notre vie chrétienne et la mission que Dieu nous a confiée en Christ.
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Le Père Dinh Anh Nhue Nguyen, auteur de ce commentaire, est Secrétaire Général de l’Union Pontificale Missionnaire, Directeur du Centre International d’Animation Missionnaire et Directeur de l’Agence Fides.
Frère conventuel franciscain de nationalité vietnamienne, né en 1970, il a été nommé par le cardinal Luis Antonio Tagle au service des Œuvres pontificales missionnaires le 1er mai 2021, pour une période de cinq ans.
Points utiles
HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS, MESSE, BÉNÉDICTION ET IMPOSITION DES CENDRES (Basilique Saint-Pierre, 17 février 2021):
Le Carême n’est pas une collecte de bonnes actions, c’est discerner vers où est orienté notre cœur. Cela est le centre du Carême : vers où est orienté mon cœur ? Essayons de nous demander : où me mène le navigateur de ma vie, vers Dieu ou vers mon moi ? (…)
La Parole de Dieu nous demande de revenir au Père, nous demande de revenir à Jésus, et nous sommes appelés à revenir à l’Esprit Saint. La cendre sur la tête nous rappelle que nous sommes poussière et que nous retournerons en poussière. Mais sur notre poussière, Dieu a soufflé son Esprit de vie. Alors nous ne pouvons pas vivre en poursuivant la poussière, en suivant des choses qui aujourd’hui existent et qui demain disparaitront. Revenons à l’Esprit, dispensateur de vie, revenons au Feu qui fait renaître nos cendres, à ce Feu qui nous enseigne à aimer. Nous serons toujours poussière mais, comme dit une hymne liturgique, poussière amoureuse. Retournons prier l’Esprit Saint, redécouvrons le feu de la louange, qui brûle les cendres de la lamentation et de la résignation.
Frères et sœurs, notre voyage de retour à Dieu est possible seulement parce que son voyage aller vers nous a eu lieu. Autrement il n’aurait pas été possible. (…) Le Père qui nous appelle à revenir est Celui qui sort de la maison pour venir nous rechercher ; le Seigneur qui nous guérit est Celui qui s’est laissé blesser en croix ; l’Esprit qui nous fait changer de vie est Celui qui souffle avec force et douceur sur notre poussière.
CATÉCHISME l’ÉGLISE CATHOLIQUE (nr. 540):
La tentation de Jésus manifeste la manière qu’a le Fils de Dieu d’être Messie, à l’opposé de celle que lui propose Satan et que les hommes (cf. Mt 16, 21-23) désirent lui attribuer. C’est pourquoi le Christ a vaincu le Tentateur pour nous : « Car nous n’avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d’une manière semblable, à l’exception du péché » (He 4,15). L’Église s’unit chaque année par les quarante jours du Grand Carême au mystère de Jésus au désert